lundi 30 novembre 2015

« Davide Penitente » de Wolfgang Amadeus Mozart - Marc Minkowski - DVD C Major


Franche déception à la découverte de ce spectacle dont l’idée de départ, en réunissant Mozart et l’univers de Bartabas, avait pourtant de quoi séduire. Las, la captation vidéo ne rend guère justice à la poétique minimaliste des chorégraphies ciselées par Bartabas: la majesté des cavaliers sur leur monture, la finesse des éclairages ou la magie des lieux ne passent guère ici. On doit à la passion de Marc Minkowski pour les chevaux (qui dit avoir hésité, dans sa jeunesse, entre la musique et ces charmants canassons) l’élaboration de ce spectacle avec le célèbre responsable de l’Académie équestre de Versailles. Pour autant, la première a eu lieu en janvier 2015 dans le cadre de la Semaine Mozart de Salzbourg, dont Minkowski assure la direction artistique. Bien belle idée en réalité, puisque les douze cavaliers de Bartabas ont investi le fameux Manège des rochers créé par l’Archevêque de Salzbourg en 1693 pour accueillir ses chevaux – bien avant que Karajan lui-même n’eût l’idée de produire certains concerts du festival de Salzbourg en ces mêmes lieux. Complètement modernisée en 2013, la salle a conservé toute son originalité avec ses trois niveaux d’arcades qui surplombent la scène comme autant de loges d’un opéra à l’italienne et permettent d’accueillir les musiciens et les chanteurs.


Marc Minkowski semble quant à lui perdu au loin, tout près du public mais bien éloigné de ses interprètes. Sa direction déçoit pendant la quasi-totalité de la représentation, n’offrant qu’un Mozart musculeux, incapable de fluidité avec sa propension à souligner les moindres inflexions musicales. De ce manque de naturel découle un manque de musicalité rédhibitoire dans ce répertoire bien connu. L’oratorio Davide Penitente (1785) a en effet été composé à la va-vite par un Mozart débordé, réutilisant de nombreuses parties de sa grande Messe en ut mineur, K. 427, laissée inachevée trois ans plus tôt. A peine cinquante minutes de musique, auxquelles Minkowski ajoute de courtes pièces en lien avec l’univers tragique de cette œuvre bien connue: rien d’essentiel, d’autant que le Chœur Bach de Salzbourg montre des faiblesses dans la justesse (les sopranos surtout), tandis que les trois solistes assurent bien leur partie.

dimanche 29 novembre 2015

« Il signor Bruschino » de Gioachino Rossini - Daniele Rustioni - DVD Opus Arte


Alors qu’on pensait partir à l’assaut d’un continent entièrement vierge, la surprise ne manque jamais son effet dès lors que l’on découvre une œuvre familière à l’oreille. Ainsi du neuvième opéra de Rossini, Il signor Bruschino, dont l’Ouverture fait partie de ces pépites orchestrales régulièrement présente parmi les compilations gravées par les plus grands chefs, de Toscanini à Reiner – pour ne parler que des plus anciens. D’emblée, cette œuvre de jeunesse en un acte embrase l’orchestre savoureux de Rossini, résonnant de ces coups d’archet sur les pupitres. Une nouveauté qui aura fait scandale à la création en 1813, avant de contribuer à la notoriété de cette œuvre délicieuse, l’un des joyaux aussi bref – une heure et demie de musique – qu’irrésistible du cygne de Pesaro.


Il faut dire que cette production élaborée par le festival de Pesaro bénéficie de la présence de Daniele Rustioni, jeune chef italien parmi les plus prometteurs. Découvert par le public de l’Opéra de Lyon avec Simon Boccanegra de Verdi en 2014, c’est dans cette même capitale des Gaules que Rustioni succèdera à Kazushi Ono dès 2017. On comprend pourquoi à l’écoute de ce DVD: sa direction aux attaques sèches allie geste sûr et allant en électrisant la rythmique rossinienne comme jamais, tout en privilégiant un admirable sens de la vie théâtrale.


Le plateau vocal réuni à ses côtés frise la perfection, se révélant d’une étonnante homogénéité à ce niveau. Très applaudi, Carlo Lepore impose un Gaudenzio incarné, à la voix bien projetée. Parmi les temps fort de cette production, on notera le superbe trio qu’il partage avec Francisco Brito (Bruschino fils) et David Alegret (Florville) – tous deux magnifiques de timbre et de musicalité. Egalement très à son aise, Maria Aleida donne à sa Sofia des nuances irrésistibles dans les pianissimi, mais également au niveau des périlleuses vocalises. Assurément une chanteuse à suivre.


On sera plus réservé en revanche concernant la mise en scène élaborée par le Teatro Sotterraneo, collectif d’artistes nouvellement à l’œuvre dans une mise en scène d’opéra. Plutôt amusante, leur idée de départ consiste à placer l’action de l’opéra en un parc à thème dédié à Rossini, permettant ainsi quelques blagues décalées, jouant notamment sur les anachronismes. Cette mise en abyme permet d’animer quelque peu le plateau, une initiative louable compte tenu de la minceur de l’argument, mais le résultat global peine à convaincre au-delà de quelques gags plus ou moins réussis. Il faudra donc se concentrer sur le chef et ses interprètes pour savourer cette production aux qualités essentiellement vocales et musicales.

samedi 28 novembre 2015

Symphonie n° 4 et Drei Stücke d'August Klughardt - Antony Hermus - Disque CPO



Deux ans après son premier disque consacré a August Klughardt (1847-1902), Antony Hermus poursuit l’exploration du répertoire symphonique de ce petit maître méconnu. Gageons que cette nouvelle tentative saura faire connaître davantage cette musique qui doit beaucoup à Brahms, tant les deux œuvres réunies montrent un niveau d’inspiration bien supérieur. La Quatrième Symphonie (1890) conserve la palette fluide et aérienne propre au style du compositeur allemand, mais en allégeant plus encore en une optique chambriste du plus bel effet. Cette avant-dernière symphonie distille des idées d’une apparente simplicité, toujours admirable dans l’art des transitions entre les thèmes. Les deux premiers mouvements apparaissent les plus réussis, particulièrement en leurs conclusions, tandis que l’Andante laisse entrevoir quelques emprunts au Wagner de Siegfried-Idyll dans le beau thème dramatique magnifié par les cordes. Le Presto qui suit se montre efficace mais peu original, tandis que le finale s’avère plus déstructuré, entre début théâtral, effusion mélodique, élan et légèreté mêlés.

Ce disque est aussi l’occasion de découvrir les Trois Pièces (1901), la toute dernière œuvre orchestrale de Klughardt. L’allégement est plus marqué encore dans ces petites pièces délicieuses qui donnent, choix inédit pour l’Allemand, un rôle prépondérant (et quasi concertant) à la harpe. Le début primesautier laisse place à une mélodie entêtante, faisant ressortir une pointe de malice, tandis que la Gavotte nous plonge dans une danse de caractère, à la mélodie marquante là aussi. La Tarentelle verse plus encore dans un folklore aussi délicieux qu’entraînant, concluant une œuvre légère, certes, mais qui reste constamment dans l’élégance raffinée propre à Klughardt. Un compositeur il est vrai toujours soutenu par le geste admirable d’Antony Hermus qui, en dehors de cuivres sans charme, tire le maximum d’une formation plus qu’honnête, en une lisibilité toujours exemplaire et sans maniérisme. Il se dégage ainsi de ce disque une direction classique dans le bon sens du terme, à même de rendre justice à un compositeur peu novateur mais tout à fait plaisant.

vendredi 27 novembre 2015

Symphonies n° 1 et n° 5 de Kurt Atterberg - Neeme Järvi - Disque Chandos


Après les deux volumes parus en 2013 et 2014, Neeme Järvi signe un troisième disque consacré à l’intégrale en cours des symphonies de Kurt Atterberg (1887-1974). Il restera donc à graver les Troisième, Septième et Neuvième Symphonies – cette dernière faisant appel à un chœur et des solistes, à l’instar d’une autre Neuvième bien connue. Place pour l’heure à la toute première symphonie du Suédois, composée en 1911 et révisée en 1913 alors qu’il était encore étudiant. Si quelques échos à Sibelius se font entendre, Atterberg s’en distingue en marquant les esprits par son fort tempérament, audible dans les forces viriles concentrées autour d’une orchestration éloquente, aux cuivres rutilants. L’Adagio manifeste un lyrisme débordant, bien vite contrasté par le bel élan des bois sautillants et nerveux du Presto qui suit. Plus inégal, le dernier mouvement montre davantage les muscles, se rapprochant du pompiérisme associé à certaines musiques de film.

Composée entre 1917 et 1922, la Cinquième Symphonie a été révisée en 1947 – essentiellement dans son finale. C’est en cette dernière version que l’on découvre une œuvre toujours bien cuivrée en introduction, avant qu’Atterberg ne s’apaise en trouvant des climats évocateurs et lyriques, à la manière de son contemporain Leevi Madetoja (un élève de Sibelius) mais sans la veine mélodique de ce dernier. Il n’en reste pas moins que le tempérament généreux d’Atterberg, un rien premier degré, fait souvent mouche, y compris dans l’étonnant Lento, aussi statique que mélancolique. Le troisième et dernier mouvement de cette symphonie assez brève (26 minutes environ) permet de retrouver l’élan du Suédois autour d’une sorte de danse macabre, curieusement achevée dans l’apaisement.


Comme à l’habitude, la direction de Neeme Järvi est cursive, avançant sans se poser de questions. A la tête d’un superlatif Orchestre symphonique de Göteborg, il insuffle une belle énergie à ce disque qui s’adresse avant tout aux amateurs avides de raretés symphoniques stimulantes.

mercredi 18 novembre 2015

Intégrale des symphonies de Théodore Gouvy - Jacques Mercier - Disque CPO

Parus entre 2009 et 2013, les différents disques de l’intégrale des neuf Symphonies de Théodore Gouvy (1819-1898) viennent d’être opportunément réunis par cpo en un unique coffret. Une initiative à saluer, tant ce compositeur méconnu mérite l’intérêt. Né dans l’actuelle Sarrebruck redevenue allemande suite au traité de Vienne en 1815, Gouvy fut ainsi Prussien de naissance, alors que ses frères aînés avaient la nationalité française. Ayant fait toute sa scolarité en des institutions francophones, il n’en maîtrisait pas moins parfaitement la langue de Goethe, ce qui explique ses doubles réseaux de part et d’autre du Rhin. A son grand regret, Gouvy obtint moins de succès à Paris qu’à Leipzig, où sa musique assez conservatrice perpétua la tradition autour des deux grandes figures de Beethoven et Mendelssohn. Ce sont en effet ces deux compositeurs qui inspirent les quatre symphonies de la première période de Gouvy, toutes composées entre 1845 et 1856. Un beau tempérament parcourt la Première (1845), joyeuse, sautillante et aérienne: peut-être l’œuvre globalement la plus réussie de Gouvy. La Deuxième (1850) s’avère plus anecdotique autour d’une suite de variations plaisamment entrecroisées, tandis que la Troisième (1852) retrouve l’élan de la Première (rappelant Schumann mais sans son inspiration mélodique) avec un finale original, déchaîné et enthousiasmant. La Quatrième (1856) vient conclure ce cycle en s’inspirant du caractère péremptoire de Beethoven en son Scherzo notamment, avant un Larghetto plus méditatif.

La seconde manière de Gouvy est caractérisée par une perte de confiance suite au constat répété d’une impossibilité à s’imposer à Paris avec ses premiers ouvrages. Suite à une réception fraîche, la Cinquième Symphonie (1865) est ainsi remaniée trois ans plus tard avec deux mouvements entièrement réécrits. Le début festif, sans enjeux, est suivi d’un très beau Larghetto, mélodique et inspiré, avant que le finale rigolard et espiègle ne vienne conclure cette œuvre inégale. Gouvy choisit ensuite de ne pas donner le titre de symphonie aux trois œuvres suivantes (ou de ne pas les numéroter dans le corpus des six qui ont eu cet honneur), alors qu’elles en ont tout à fait l’ampleur. Ainsi de la Symphonie brève (1873), moins cuivrée, qui comporte à nouveau une suite de variations, ponctuée d’un Rondo, en un esprit léger et dansant. A cette œuvre mineure, on préfèrera la Fantaisie symphonique (1881), qui s’éloigne de la rythmique beethovénienne pour s’inspirer d’une respiration plus wagnérienne, l’introduction sombre et majestueuse marquant d’emblée le ton. On note aussi une orchestration plus variée, le rôle des vents et des cuivres minorant sensiblement celui des cordes. Changement d’atmosphère avec la Sinfonietta (1885), plus proche de Dvorák par l’élan joyeux et mélodique, dont on retient surtout un bouillant Scherzo à l’humour sautillant. Gouvy conclut sa carrière dans le domaine symphonique avec une ultime symphonie numérotée, la Sixième (1889, remaniée en 1892). Cette œuvre à l’esprit plus chambriste, moins inspirée, n’apparaît pas d’une écoute prioritaire.


On se concentrera donc davantage sur les premières symphonies, ainsi que sur la fougueuse Fantaisie symphonique, toutes bénéficiant du geste lyrique et équilibré de Jacques Mercier, à la tête de la Deutsche Radio Philharmonie, une bonne formation résultant de la fusion des orchestres de Sarrebruck et Kaiserslautern.

samedi 14 novembre 2015

Concertos pour piano de Henning Mankell et Gösta Nystroem - Anna Christensson - Disque Capriccio

Capriccio nous convie à la découverte de deux figures méconnues tout droit venues de Suède. Gösta Nystroem (1890-1966) est sans doute celui dont le nom pourra faire écho aux amateurs de Stravinski et Honegger, lui qui fut fortement influencé par ces deux maîtres lors de ses douze années passés en France, de 1920 à 1932. On retrouve ici une œuvre beaucoup plus tardive, son unique concerto pour piano, composé en 1958, alors que le compositeur est désormais installé à Göteborg. Réputé novateur en son pays mais conservateur ailleurs, Nystroem y fait preuve d’un sens admirable de la rythmique, parsemé de légères dissonances, tandis que les cordes tissent un arrière-plan arachnéen et inquiétant dans le premier mouvement – le piano nerveux montrant quant à lui une agilité toute verticale. Beaucoup plus mélodique, l’Adagio emprunte un chemin mystérieux et sinueux, sombre en son début, puis suivi d’un épisode central plus dramatique. Nystroem retrouve une rythmique féline dans le finale, où une sorte de danse morbide vient s’intercaler avant d’être balayée par la fougue du piano.

L’interprétation d’Anna Christensson au piano apparaît constamment équilibrée entre respect des nuances et agilité, bien soutenu par un chef attentif. Il en va de même dans l’autre œuvre gravée sur ce disque, beaucoup plus précoce. Composé en 1917, le Concerto pour piano de Henning Mankell (1868-1930, à ne pas confondre avec l’auteur de romans policiers contemporain) rappelle immédiatement ceux de Liszt et Grieg, se montrant très inspiré au niveau mélodique. Avec la raréfaction de l’accompagnement en certains passages du premier mouvement, Mankell semble suspendre le temps autour de petites touches légères et graciles au piano, à l’effet magnétique sur l’auditeur. L’Adagio laisse ensuite entrevoir des bois élégants, doux et sensibles, nous embarquant en une ambiance enveloppante et évocatrice. Assurément, quelques échos à Sibelius peuvent ici se laisser entrevoir, tandis que le finale déçoit en revanche par quelques maladresses au niveau de l’orchestration. L’élan lyrique de Mankell apparaît néanmoins assez séduisant pour compenser ces faiblesses techniques.


On notera pour conclure qu’un disque consacré aux œuvres pour piano solo de Henning Mankell était paru chez Phoenix Edition en 2009, déjà avec Anna Christensson, manifestement inspirée par l’univers délicat de son compatriote méconnu.

jeudi 12 novembre 2015

« Le Prophète » de Giacomo Meyerbeer - Opéra de Karlsruhe - 08/11/2015


Parmi les compositeurs les plus célébrés en son temps, Giacomo Meyerbeer fait aujourd’hui figure d’énigme, ses grands succès ne faisant que de sporadiques réapparitions au gré de l’intérêt de célèbres metteurs en scène et chanteurs: ainsi d’Olivier Py à Bruxelles en 2011, de Laurent Pelly à Londres en 2012, ou plus récemment de Roberto Alagna à Berlin. Si ces initiatives isolées ne permettent pas à Meyerbeer de s’ancrer au répertoire, cela tient à sa réputation tenace de pompiérisme et de facilité, mais aussi du faste réputé coûteux demandé par le grand opéra à la française. C’est en effet à Paris, après ses réussites italiennes, que Meyerbeer obtint la consécration avec seulement trois opéras: Robert le Diable (1831), Les Huguenots (1836) et Le Prophète (composé en 1841 mais seulement créé en 1849).

L’initiative d’une nouvelle production à Karlsruhe, autour du dernier grand succès parisien de Meyerbeer, est donc à saluer vivement, et ce d’autant plus qu’elle ne bénéficie pas de la locomotive d’un grand nom. Il n’était cependant pas question de confier à un débutant la mise en scène d’une œuvre aussi exigeante, ce qui explique le choix de Tobias Kratzer (né en 1980) et ses quelque dix ans d’expérience dans le domaine de l’opéra. En s’appuyant sur un ingénieux décor (unique pendant toute la représentation) à face double, le Bavarois propose une audacieuse transposition autour du contexte spécifique lié aux tensions urbaines en France. Alors que les voyous font la loi, le Comte Oberthal prends les habits du caïd local de mèche avec la police, tandis que se succèdent des scènes de vol en bande organisée, de viol par les policiers, ou la vente de Charlie Hebdo: Kratzer ne recule devant rien pour brosser un portrait apocalyptique – un rien caricatural mais sans doute représentatif d’une certaine vision Outre-Rhin – des banlieues françaises. Pour autant, sa transposition fonctionne bien, nous embarquant dans l’agitation d’une génération en perte de repères, prête à tomber dans les bras faussement accueillants d’un «prophète» autoproclamé. La fable n’en serait que plaisante si elle ne raisonnait pas autant avec la triste réalité de ces nombreux Français sensibles aux sirènes protéiformes du radicalisme.


Kratzer sait aussi ajouter quelques pointes d’humour bienvenues à sa mise en scène, du célèbre ballet des patineurs transformé en savoureuse performance hip-hop à l’éloquente scène finale de l’acte III où les fidèles reprennent courage grâce au prophète – la transposition nous montrant la réalisation maladroite et rocambolesque d’une allocution télévisée dans les conditions du direct, avec d’irrésistibles incrustations kitsch au moyen de la vidéo. Pas question cependant de tomber dans la pochade, le sérieux étant rapidement retrouvé dès lors que l’impact dramatique le nécessite. Ainsi de la scène saisissante où Berthe se suicide dans le parking souterrain, avant que l’ultime tableau ne nous emmène dans la fureur de la foule (excellente direction d’acteurs à cet égard) et du sacrifice spectaculaire du héros.


Le plateau vocal est dominée sans conteste par ses interprètes féminines, au premier rang desquelles l’incandescente Fidès d’Ewa Wolak, qui reçoit une ovation amplement méritée à l’issue de la représentation. Un tempérament généreux, magnifiquement incarné, qui bénéficie d’un timbre superbe de rondeur et de graves gorgés de soleil. Il ne faudra certes pas essayer de chercher à comprendre son français, souvent approximatif, même si ses différents acolytes ne se montrent pas davantage inspirés de ce point de vue. A ses côtés, Ina Schlingensiepen (Berthe) impose sa petite voix à la musicalité admirable et d’une fraîcheur irrésistible. Seul Marc Heller (Jean) vient gâcher la fête, recevant quelques huées – méritées – en fin de soirée. Bon interprète, il n’a manifestement pas l’étendue vocale suffisante pour affronter son rôle, gêné par un léger vibrato et un aigu resserré, presque étranglé. Fort heureusement, la fosse vient en partie compenser ce choix malheureux, proposant une variété de climats aussi à l’aise dans les verticalités dignes d’un Berlioz que dans les passages plus apaisés, apportant à ce spectacle réussi une direction fine et variée du plus bel effet.

mercredi 11 novembre 2015

Oeuvres pour clarinette de Samuel Coleridge-Taylor, Arthur Somervell et Richard Henry Walthew - Quatuor de Leipzig - Disque CPO


C’est à un superbe panorama de la musique de chambre anglaise pour clarinette que nous convie ce nouveau disque enregistré par Stephan Siegenthaler et le Quatuor de Leipzig (formé en 1988 par trois chefs de pupitre du célèbre Gewandhaus), cette fois chez CPO. La formation allemande a gravé en effet de nombreuses galettes principalement pour Mdg, avec quelques rares exceptions – Capriccio notamment. Nous voici plongés au tournant des XIXe et XXe siècles autour de trois compositeurs qui ont la particularité d’avoir été influencés par les figures de Charles Villiers Stanford et Hubert Parry, tous deux admirateurs de Brahms et son Quintette avec clarinette (1891).

Pour autant, les œuvres réunies ici vont beaucoup plus loin que Brahms, particulièrement Arthur Somervell (1863-1937) et son Quintette aux allures de concerto, qui nous embarque d’emblée dans une ambiance sombre et envoûtante, mélodiquement irrésistible. Ces premières mesures rappellent le Schubert du Quatuor «La Jeune Fille et la Mort» avant que l’Intermezzo ne varie subtilement les atmosphères, mêlant sensibilité et espièglerie... en un surprenant rythme de danse. Toujours inspiré, Somervell passe ensuite de la mélancolie de l’Adagio à l’extraversion du Finale, concluant cette œuvre superbe – à écouter en priorité. Il faut dire que les membres du Quatuor de Leipzig n’ont pas leur pareil pour exalter la beauté de timbres parfaitement individualisés, en une lisibilité qui ne tombe jamais dans le détail superflu, tout en se répondant en une expressivité admirable avec la clarinette raffinée de Stephan Siegenthaler.


Ces mêmes qualités se retrouvent dans le Quintette de Samuel Coleridge-Taylor (1875-1912), plus proche de Dvorák par sa rythmique bondissante et ses mélodies enjouées, tandis que le beau mouvement lent montre un compositeur (trop tôt disparu à 37 ans) plus apaisé, prenant le temps de s’exprimer harmonieusement. La dernière œuvre gravée sur ce disque, plus tardive (1917), révèle un Richard Walthew (1872-1951) concentré et introspectif en son bref Quintette aux trois mouvements enchaînés. De quoi conclure ce disque chaleureusement recommandé, magnifié par le jeu éloquent du Quatuor de Leipzig.

mardi 10 novembre 2015

« Don Carlo » de Giuseppe Verdi - Opéra de Francfort - 07/11/2015

Beaucoup plus rare en France ces dernières années, Sir David McVicar – anobli en 2012 – n’en poursuit pas moins sa carrière internationale à travers les plus grandes scènes lyriques en une boulimie digne de l’ivresse de ses succès. Si le metteur en scène britannique a déjà fait son grand retour à Paris l’été dernier avec la production d’Adriana Lecouvreur, déjà présentée à Londres et Barcelone notamment, l’autre reprise attendue prenait place cet automne à Francfort, avec la production du Don Carlo de Verdi dans sa version italienne en cinq actes, dite de Modène (1886).


Depuis la première en 2007, Francfort a monté plusieurs fois ce spectacle réussi, arrimé à une scénographie aussi sobre qu’ingénieuse, n’oubliant pas une direction d’acteur qui privilégie le théâtre (importance des regards notamment). McVicar s’appuie sur un décor sans cesse revisité autour d’un système permettant au sol et à l’immense mur, tous deux recouverts de briques au ton gris clair, de se soulever ou de disparaître sous le regard du public – proposant ici une forêt, là une cathédrale ou encore l’espace plus restreint d’un cabinet de travail. En ce dernier cas, l’ajout d’un simple rideau sur la moitié de la scène – magnifiquement mis en valeur par les éclairages, une constante de cette production – viendra réduire l’espace dévolu aux interprètes, permettant à Eboli de sauver Elisabeth en une scène déchirante de vérité. Mais c’est surtout dans les scènes de chœur que l’étagement obtenu par l’agencement géométrique des modules de brique (à la manière d’un jardin à l’italienne) permet une distanciation toujours millimétrée, à l’esthétique quasi chorégraphique, sans parler de l’indiscutable réussite des costumes d’époque discrètement modernisés.


Fort justement applaudie triomphalement en fin de soirée, Tanja Ariane Baumgartner apporte à sa princesse Eboli une force de conviction sans pareil, s’autorisant de nombreuses prises de risque, particulièrement ses graves exaltants de fureur. Tatiana Monogarova (Elisabeth) manque de puissance en comparaison, compensant par un timbre d’une belle rondeur, irrésistible dans les pianissimi. L’irradiant Rodrigo de Daniel Schmutzhard fait preuve lui aussi d’une belle musicalité, seulement gêné par un aigu serré en début d’opéra, tandis qu’Andreas Bauer (Philippe II) assure bien sa partie malgré une voix un peu terne. Seul Wookyung Kim, peu crédible scéniquement en Don Carlo, déçoit par son intonation irrégulière et peu subtile, heureusement plus affirmée lorsque sa voix est bien posée. A l’issue de la représentation, il reçoit pourtant une belle ovation du public, sans doute conquis par son organe tonitruant.


Si la direction virile de Pier Giorgio Morandi couvre parfois les voix dans les forte, elle sait aussi épouser les moindres inflexions théâtrales de ce chef d’œuvre de Verdi, apportant une narration toujours passionnante. Mais ne serait-ce que pour le tempérament éclatant de l’Eboli de Tanja Ariane Baumgartner ce spectacle mérite tous les éloges. A voir ou revoir jusqu’à fin janvier 2016!

lundi 9 novembre 2015

« La Ville morte » de Erich Wolfgang Korngold - Opéra de Francfort - 06/11/2015

Désormais bien arrimée au répertoire, La Ville morte faisait son retour à Francfort en ce début d’automne avec la production présentée par Anselm Weber en 2009 puis 2011. Ce spectacle de bonne tenue s’appuie sur une scénographie minimaliste, plutôt laide mais ingénieusement animée des apparitions que permettent les multiples trappes cachées dans le vaste mur entourant le plateau. De là jailliront le fantôme de la défunte et toute une série d’apparitions rappelant souvent l’imagination torturée d’Otto Dix ou l’ironie mordante de James Ensor. Sur scène, un cube en guise de seul élément de décor renferme une sorte de mausolée à la gloire de la défunte Marie – à moins que ce ne soit plutôt une garçonnière, ou pire, une pièce permettant d’enfermer des captives? C’est en effet ce que suggère la présence d’une caméra qui filme en permanence cet espace réduit, tandis que des téléviseurs suspendus reproduisent le portrait de Marie/Marietta. Mais dès lors que d’autres femmes apparaissent en cours d’opéra, toutes grimées d’une même robe rouge et arborant un masque semblable, le doute s’insinue. Ne serait-ce pas plutôt le portrait d’un serial killer que nous brosse Anselm Weber?

On pourra cependant en rester à une lecture plus proche du livret, le vaste mur infranchissable symbolisant l’enfermement mental du héros, tandis que le cube cristallise ses pulsions inassouvies. Mais la reprise de cette production a surtout la bonne idée de confier les rôles à de jeunes interprètes, tous très en voix. Acclamé en fin d’opéra, David Pomeroy donne une force de conviction exaltante à son personnage, bien aidé par un timbre superbe et magnifiquement projeté. Le ténor canadien se montre ainsi capable de soutenir la puissance de l’orchestre de Korngold, à l’instar de Björn Bürger et Maria Pantiukhova, tout aussi excellents de leur côté. Seule Sara Jakubiak déçoit dans le rôle de Marietta, manquant de puissance autour d’une voix à l’émission étroite et aux changements de registre trop rudes. Dans la fosse, Björn Huestege exalte les timbres en une direction cursive, sautillante et agile qui n’en oublie pas les passages lyriques pour autant. Une soirée applaudie par un public que l’on avait rarement vu aussi enthousiaste à Francfort, sans doute conquis par une mise en scène fascinante jusque dans ses multiples interprétations.

dimanche 8 novembre 2015

« Une vie pour le tsar » de Mikhaïl Glinka - Opéra de Francfort - 05/11/2015


Evènement phare de ce début de saison à Francfort, la nouvelle production d’Une vie pour le tsar s’avère réjouissante à plus d’un titre. On soulignera tout d’abord l’audace de programmer l’un des deux opéras de Glinka (1804-1857), inexplicablement absents du répertoire en dehors de la Russie, et ce malgré leurs nombreuses qualités. Ce désintérêt s’explique sans doute par le manque de notoriété du compositeur, au catalogue restreint – illustré dans ce domaine par l’échec de son second opéra Rouslan et Ludmilla en 1842, qui viendra clore sa production lyrique. Ces dernières années, seul le festival de Radio France à Montpellier s’était illustré, en 2012, autour d’une soirée manifestement très réussie.

Il est vrai que le premier opéra composé par Glinka en 1836 ne manque pas d’atouts, entre l’imagination mélodique constante de son auteur, le raffinement de son orchestration et l’originalité du rôle confié au chœur, véritable acteur de l’opéra. C’est là l’une des idées forces du livret qui raconte la lutte des russes menacés par les troupes polonaises, autour du sacrifice d’Ivan Soussanine pour sauver le tsar. Glinka alterne habilement emphase du chœur et recueillement quasi a capella, démontrant un art des transitions et des variations d’atmosphère réellement captivant, que ce soit dans les scènes légères des danses polonaises au II ou dans le récit déchirant de Soussanine au moment d’affronter le courroux de ses opposants en fin d’opéra.


Sebastian Weigle se délecte du raffinement de Glinka en allégeant les textures, introduisant un sens de la respiration admirable de clarté, irrésistible dans les scènes de ballet. On regrettera cependant que les passages plus dramatiques conviennent moins à cette optique, les voix paraissant trop en avant et laissées à elles-mêmes. Face à cet orchestre en retrait dans les passages contrastés, le Chœur de l’Opéra de Francfort, et tout particulièrement ses pupitres masculins, manque de caractère pour s’imposer pleinement. Cet accompagnement en dentelle convient mieux à Anton Rositskiy (Bogdane Sabinine), jamais couvert malgré sa faible projection, et qui peut faire ainsi l’étalage de son beau timbre clair. Autre petite voix, Kateryna Kasper (Antonida) obtient une ovation en fin d’opéra pour sa musicalité, sa fraîcheur et la belle rondeur de ses phrasés. Aux côtés de la superlative Katharina Magiera dans le rôle de Vania, John Tomlinson compose un Soussanine minéral, au timbre rêche et sans couleurs, qui convient bien à l’âpreté déchirante de son abnégation, porté par une puissante déclamation.


Harry Kupfer surprend quant à lui par une mise en scène fidèle au drame, fine et précise, proposant une scénographie épurée sans cesse revisitée autour des restes d’un édifice religieux et d’une immense cloche brisée au sol. Les éclairages splendides et les effets vidéo participent de cette réussite visuelle constante, tel ce simple voile reproduisant une saisissante tempête de neige au IV. Quelques clins d’œil savoureux sont aussi mêlés à l’histoire, l’enrichissant malicieusement sans la trahir, Kupfer se rappelant que l’œuvre fut à la fois un instrument de propagande sous le tsar puis sous les communistes. On se délecte ainsi de l’inauguration d’un char devenu monument célébrant l’amitié entre les alliés du bloc soviétique, de la RDA à la Pologne, tandis que la scène finale célèbre ironiquement la démonstration de force d’un régime caricatural.


Un spectacle réussi, en dehors des quelques réserves sus-évoquées, que l’on recommande chaleureusement pour tous ceux qui auront la chance de passer par Francfort en cette fin d’année. Autre spectacle à ne pas manquer avec la reprise attendue de la superbe production de Hansel et Gretel donnée l’an passé. Un seul regret : à quand les surtitres en anglais? Il est temps que «Mainhattan» – cette petite New York, située sur les bords
du Main, qui doit son surnom à son statut de capitale économique de l’Allemagne – se rappelle qu’elle accueille de nombreux non-germanophones tout au long de l’année: un public moins captif, mais qui mérite lui aussi ce confort désormais incontournable.

mercredi 4 novembre 2015

Ouvertures et Concertinos pour violon de Johann Wenzel Kalliwoda - Michael Alexander Willens - Disque CPO


On commence seulement à explorer l’œuvre conséquente du compositeur et violoniste tchèque Jan Kalivoda (Kalliwoda selon la transcription allemande), représentant estimable de la période romantique. Outre quelques quatuors enregistrés il y a dix ans (La dolce volta), le disque s’est principalement intéressé à son répertoire symphonique, notablement exploré par CPO autour de deux disques consacrés à ses Deuxième, Quatrième, Cinquième et Septième Symphonies.

Place cette fois à deux de ses huit Concertinos pour violon – sorte de petits concertos aux mouvements enchaînés dont Kalivoda (1801-1866) s’est fait l’expert pour différents instruments – ainsi qu’à trois de ses vingt-quatre Ouvertures. Il est à noter que le livret comporte une erreur: ce sont bien les Premier et Septième Concertinos qui sont ici enregistrés aux côtés des Troisième, Septième et Dixième Ouvertures. Ces dernières apparaissent intéressantes par leur force de caractère, qualité malheureusement manquante aux concertinos, peu inspirés au niveau mélodique et assez déstructurés.


Il est vrai que l’interprétation assez prévisible d’Ariadne Daskalakis n’arrange rien, autour d’un son trop étriqué pour réellement nous emporter. Il faudra donc découvrir en priorité les disques consacrés au répertoire symphonique, principalement le bel enregistrement d’Andreas Spering (CPO, 2005) sur instruments anciens (comme ici).

mardi 3 novembre 2015

Ouverture de fête et Symphonie de Leopold Damrosch - Christopher Russell - Disque Toccata Classics



Dans la famille Damrosch, on connait surtout le fils Walter (1862-1950), célèbre chef d’orchestre durant la première moitié du XXe siècle – créateur du Concerto en fa et d’Un Américain à Paris de Gershwin. Son père Leopold (1832-1885) était un chef tout aussi renommé, recueillant l’amitié et l’estime de Liszt, qui lui dédia son poème symphonique Tasso, Lamento e Trionfo, mais également de Clara Schumann ou de Wagner. C’est précisément le maître de Bayreuth qui inspira les compositions méconnues de Damrosh, particulièrement les deux œuvres gravées ici, que ce soit son Ouverture de fête (1871) et son unique Symphonie (1878). Ouvrage de grande ampleur, cette symphonie ne fut jamais jouée ou publiée du vivant de son auteur, et il aura fallu attendre sa redécouverte en 2005 pour que le présent disque puisse voir le jour. Ce premier enregistrement mondial a été réalisé en début d’année par le méconnu Orchestre symphonique de l’université d’Azusa, située dans la banlieue de Los Angeles.

Il ne faudra pas s’attendre à des miracles techniques – notamment une captation un rien lointaine – concernant cet enregistrement qui s’adresse aux mélomanes les plus curieux, tant la formation atteint en de nombreux endroits ses limites, que ce soient les cordes ou le pupitre très sollicité de cors. Néanmoins, la direction assurée de Christopher Russell donne le meilleur de cet ensemble, permettant d’avoir une bonne première approche de ces œuvres. Même si l’on pourra déplorer une construction maladroite (mouvements très inégaux en durée) et un tempérament trop mélodramatique dans le vaste et inégal mouvement lent Quasi Marcia: solenne, la symphonie se montre inspirée, annonçant parfois le sens du coloris orchestral de Rachmaninov.


Mais c’est peut-être l’ouverture qui convainc plus encore par son unité et une belle emphase aux cuivres bien soutenus par les cordes, rappelant ici celle des Maîtres chanteurs de Wagner. En complément, une dispensable adaptation (1875) de Schubert permet de découvrir ce qui fut longtemps le seul succès accordé à un chef resté peu connu en tant que compositeur.