lundi 31 août 2015

« The Tempest » - Musiques de Locke, Purcell, Martin, Hersant et Pécou - Sinfonia en Périgord - 28/08/2015

Déjà présent l’an passé autour d’un original programme réunissant les Magnificat de Bach et Pärt, le jeune chef et claveciniste Simon-Pierre Bestion fait son retour au festival Sinfonia en Périgord cet été. De pas moins de deux heures sans entracte, ce spectacle total réunit musiques baroque et contemporaine, tout en associant danse et théâtre autour d’un projet longuement et patiemment élaboré à l’abbaye de Royaumont. Créé au Collège des Bernardins en mai dernier, dans la foulée de la parution du disque édité chez Alpha, «The Tempest» est un opéra-oratorio atypique, projet un peu fou inspiré de la célèbre et emblématique pièce de Shakespeare. Créée en début d’année, la compagnie La Tempête, qui regroupe désormais le Chœur Luce del Canto et l’ensemble Europa Barocca, porte ce spectacle de lieu en lieu depuis la création parisienne, le faisant évoluer au gré de l’expérience et des retours. Si l’ordre des pièces a été légèrement revu, on notera surtout le remplacement des danseurs par le chœur, qui officie désormais doublement en mettant à profit la formation chorégraphique reçue depuis mai.

Le début du spectacle marque d’emblée les esprits par l’entrée fascinante des chanteurs. Réparties dans la double coupole romane de l’église et ancienne cathédrale Saint-Etienne-de-la-Cité, les voix s’échappent de la pénombre autour d’effets qui jouent sur une spatialité magnifiée par une résonnance particulièrement envoûtante. La concentration extrême obtenue autour des interprètes étonne pendant tout le concert, l’auditoire apparaissant véritablement saisi par les variations d’atmosphère finement étagées par Simon-Pierre Bestion. Seules les réminiscences de la pièce incarnées par une voix off un peu terne déçoivent quelque peu. Tout le reste n’est que ravissement. Ainsi des danses qui ne prennent jamais trop de place, réussissant particulièrement les mouvements de la troupe au complet ou les soubresauts nerveux en rafale. On se délecte aussi du jeune interprète de Caliban, excellent danseur solo rapidement soulevé par une foule comme ivre de sa puissance lors d’une scène marquante du spectacle.


Outre ces aspects visuels très réussis, Simon-Pierre Bestion sait faire partager son amour pour des musiques très différentes, osant porter haut celle de Frank Martin, exigeante et difficile d’accès avec ses nombreuses dissonances. Son idée de séparer les deux chœurs masculin et féminin apparaît ainsi décisive pour bien faire ressortir la complexité de l’architecture musicale du compositeur suisse. On note là encore un jeu sur la spatialité, dont seul le placement en hauteur de l’orchestre dessert quelque peu les violons, peu audibles. Mais ce n’est là qu’un détail tant les instrumentistes n’hésitent pas à investir la scène principale, proposant notamment un superbe et émouvant Pour un rituel imaginaire de Thierry Pécou, pièce qui évoque les musiques aborigènes et indiennes mêlées. Bestion n’en oublie pas pour autant le baroque autour de nombreux extraits de La Tempête de Matthew Locke (1621-1677), merveilleusement rendus par un orchestre globalement très bon.


Le concert se termine en arche avec le retour des chanteurs parmi le public pour interpréter Purcell: nouveau moment d’émotion pour ce spectacle à nul autre pareil, conclu par une standing ovation méritée. Une production à retrouver à Saint-Omer le 10 octobre prochain, vivement conseillée!

samedi 29 août 2015

« Concerto pour violon n° 2 » et « Concerto pour orchestre » de Béla Bartók - Emmanuel Krivine - Disque Alpha 205

Directeur musical de l’Orchestre philharmonique du Luxembourg depuis maintenant près de dix ans, Emmanuel Krivine choisit de s’attaquer à deux œuvres bien connues et très souvent enregistrées de Béla Bartók. Ce nouveau disque au minutage généreux permet au Français de déployer, tout au long du Second Concerto pour violon (1938), un travail sur les timbres qui insiste sur les détails, faisant particulièrement ressortir les graves. Si Krivine ne sacrifie jamais à l’élan global, sa lecture détaillée, fine et allante s’accorde bien avec ce concerto constitué d’une suite de variations. Le rôle de Tedi Papavrami se montre quelque peu en retrait, donnant l’impression d’une symphonie avec violon obligé – bien éloigné en cela de ses illustres prédécesseurs, tel Ivry Gitlis et son geste halluciné, ou le poète aérien Menuhin, pour ne citer qu’eux. Cette volonté de placer en retrait le violoniste conduit à faire ressortir des dialogues néanmoins superbes avec les bois, notamment dans le très bel Andante tranquillo. On se régale constamment de la direction de Krivine, toujours aussi inventif, mais parfois à la limite de la sécheresse dans sa volonté constante d’alléger la masse orchestrale. Admirable de discipline, son orchestre ne brille malheureusement guère dans les couleurs, un peu ternes à la longue.

Le Concerto pour orchestre (1943) s’avère tout aussi intéressant dans sa conception sans pathos et gommant toute respiration en son début. Particulièrement dénervé, le geste détaillé de Krivine avance en un élan transparent et léger qui rappelle souvent Ravel ou le Stravinski néoclassique. Si cette lecture intellectuelle pourra paraître un rien bridée, elle marque aussi par son absence de tension sans cesse relancée par la souplesse de l’orchestre ou la vivacité sous-jacente des contrechants. Toute brutalité ou trait de caractère excessif est soustrait, en évitant soigneusement les effets grotesques au basson (début du Giuoco delle coppie) et l’ironie excessive au IV. Les deux mouvements les plus réussis sont l’Elegia centrale où Krivine se permet enfin une respiration d’une vitalité irrésistible de douceur, tandis que le Finale étonne par l’art des transitions élaboré en une vision chambriste sans aucune emphase. Malgré un orchestre trop peu séduisant, on recommandera ce disque pour l’art de Krivine, pas si éloigné d’un Celibidache dans sa capacité à relancer le discours par un geste ample respectueux de l’architecture générale.

dimanche 23 août 2015

« Don Trastullo » de Niccolò Jommelli - Schloss Ambras à Innsbruck - 19/08/2015


En hiver comme en été, des domaines skiables inépuisables aux nombreuses randonnées, les raisons de visiter Innsbruck ne manquent pas. Imaginez la capitale du Tyrol cernée de hautes montagnes en une vaste vallée alpine, bercée du flot tumultueux de l’Inn, tandis que son vieux centre gronde d’une animation revigorante pendant toute la journée. Si les joyaux baroques et les riches musées justifient à eux seuls une visite, le festival de musique baroque, organisé chaque été, se place aisément parmi les manifestations culturelles incontournables en Autriche. Une occasion idéale de découvrir des lieux d’exception en musique, du Théâtre du Land au château d’Ambras voisin, tout comme d’autres plus rares mais tout aussi délicieux, telle la splendide abbaye de Stams située à 35 kilomètres d’Innsbruck et facilement accessible par le train ou la route.


Alors que l’ancien contre-ténor René Jacobs a longtemps marqué le festival de son énergie communicative, c’est désormais le chaleureux chef italien Alessandro De Marchi qui officie à la direction artistique depuis 2006. Un maestro apprécié, qui sera fêté l’an prochain en même temps que ses prédécesseurs pour les quarante ans du festival: un véritable feu d’artifice en perspective, pour ce qui sera l’occasion de retrouver la plupart des grandes figures qui ont marquées l’événement ces dernières années. Cette année, après la magnifique réussite d’Il Germanico de Porpora donné au Théâtre du Land, le maestro De Marchi retrouvait la splendide salle espagnole du château d’Ambras pour un intermezzo de Niccolò Jommelli (1714-1774). A l’instar de La Servante maîtresse bien connue de Pergolèse, ce type d’intermède vocal très court avait pour objet de s’intercaler entre les actes d’un opera seria afin de détendre l’atmosphère dans l’esprit de la commedia dell’arte.


Déjà donné en 2000 au festival de Sablé-sur-Sarthe, puis enregistré dans la foulée pour Opus 111 par la même équipe dirigée par Antonio Florio, Don Trastullo (1749) est présenté cette fois en une version semi-scénique, due à l’exiguïté de la scène d’Ambras. Cela n’empêche en rien Christoph von Bernuth de démontrer un savoir-faire certain dans l’animation de l’histoire classique du barbon roulé par un jeune couple amoureux. On n’est pas loin de l’intrigue minimaliste de Lo Speziale (L’Apothicaire) de Haydn, inspirée de Goldoni. Si la compréhension de l’italien s’avère indispensable pour profiter des nombreux doubles sens comiques du livret de Don Trastullo, la traduction allemande permet néanmoins de bien saisir les enjeux entre les personnages. Outre un jeu sur l’espace intéressant lorsque les interprètes investissent la partie dévolue au public, Bernuth enrichit l’action de trouvailles comiques tel un irrésistible couteau à lame molle sensé départager les rivaux Giambarone et Trastullo.


Une autre belle idée est d’ajouter à cette œuvre courte, d’à peine plus d’une heure, une ouverture empruntée à l’opéra Tito Manlio (1743) du même Jommelli, ainsi qu’un extrait particulièrement émouvant de son Te Deum (1763), donné tout juste après l’entracte. Dans le vestibule, la voix superbe de Robin Johannsen, délicatement soutenu à l’orgue par De Marchi, apporte un instant de sérénité avant la reprise des festivités bouffes. C’est bien la soprano américaine qui apporte un plaisir constant tout au long de la soirée, notamment par ses qualités de souplesse particulièrement notables dans les vocalises. Les hommes se situent un cran en dessous, aussi bien un Francesco Castoro (Giambarone) au souffle court qu’un Federico Sacchi (Don Trastullo) au timbre un peu terne. Une soirée néanmoins agréable, toujours efficace dans les aspects comiques de cette œuvre mineure de Jommelli.

samedi 22 août 2015

« Il Germanico » de Nicola Porpora - Tiroler Landestheater à Innsbruck - 16/08/2015



Le festival de musique baroque d’Innsbruck rendait hommage cet été à la figure de Nicola Porpora (1686-1768), compositeur décidément à la mode tant il semble incontournable dans les compilations d’airs baroques enregistrés par les plus grands solistes actuels. La scène s’intéresse aussi à la musique inventive de ce contemporain de Vivaldi, en lui réservant des soirées entièrement dédiée, comme à Beaune en juillet dernier autour de l’oratorio Il Trionfo della Divina Giustizia.


A Innsbruck, place à l’opera seria Il Germanico, créé à Rome en 1732. Jamais joué depuis cette date, il s’agit donc là d’une recréation mondiale, véritable événement voulu par Alessandro De Marchi pour mieux faire connaître la musique du natif de Naples. L’Ouverture démonstrative annonce d’emblée le ton guerrier de l’œuvre avec force trompettes et timbales, illustration d’un contexte historique mouvementé pour l’obtention du pouvoir en Germanie, sur fond de trahisons et de rivalités amoureuses. Si Porpora ne nous épargne guère avec l’alternance un rien fastidieuse de recitativo secco et d’arias da capo, il ajoute heureusement deux duos, un trio à la fin de l’acte II ou encore une courte scène rassemblant l’ensemble des protagonistes pour conclure l’opéra.


Le Napolitain relance constamment l’intérêt au moyen d’une étonnante inventivité dans la vivacité du soutien orchestral, tandis que les récitatifs s’avèrent assez courts pour ce type d’œuvre. Le premier acte passe ainsi d’une traite en déployant une multitude d’airs vifs très éloquents, avant de saisir l’auditoire au II lorsque les deux protagonistes principaux, Germanico et Arminio, ont l’occasion de démontrer leurs qualités expressives en des airs respectifs très émouvants. On retrouve une musique plus virile au III, peut-être un rien en dessous des autres actes au niveau de l’inspiration. Il est vrai que la mise en scène d’Alexander Schulin n’apporte pas grand-chose à la compréhension de l’œuvre, mais procure une séduction visuelle étrange et obsédante. Fondée sur un plateau tournant qui revisite sans cesse les sobres décors, la succession de tableaux inattendus rappelle ainsi souvent les toiles de Giorgio De Chirico par son minimalisme surréaliste.


Intensément applaudie à l’issue de l’opéra, cette production a surtout bénéficié de la direction percutante de De Marchi, attentif depuis le clavecin aux contrastes comme aux nuances. L’Academia Montis Regalis, son ensemble sur instruments d’époque basé dans le Piémont, n’est pas en reste avec un beau pupitre de cordes. Sur scène, la star se prénomme David Hansen, jeune contre-ténor australien qui souffre encore de quelques petits problèmes techniques (manque de chair dans l’aigu notamment), mais dont les prises de risque ravissent par leur souplesse d’articulation et leur musicalité imperturbable. Excellent interprète, il n’est pas pour rien dans la réussite de la soirée.


A ses côtés, malgré un léger manque de puissance, Patricia Bardon offre à son Germanico des graves de velours, s’avérant tout aussi impressionnante dans la conviction dramatique. On admire aussi la ligne de chant du Segeste de Carlo Vincenzo Allemano (Titus éloquent ici-même voilà deux ans) ou la délicieuse Ersinda d’Emilie Renard, très à l’aise vocalement. Le reste du plateau assure bien sa partie, faisant de cette soirée une nouvelle réussite du festival, malheureusement non captée par les micros – une fois n’est pas coutume.

vendredi 21 août 2015

« Harold en Italie » et autres oeuvres orchestrales d'Hector Berlioz - Andrew Davis - Disque Chandos


Comme souvent chez Chandos, le confort sonore est au rendez-vous: toujours impressionnante, la prise de son est un régal de bout en bout. Reste que le chef britannique Andrew Davis signe une version idéale pour découvrir la symphonie Harold en Italie, mais qui pourra décevoir le mélomane plus chevronné. Parfaitement en place, cette interprétation fouille les détails de la partition en une lecture coloriste d’un luxe sonore trop impersonnel. Entamée en un tempo assez vif, l’œuvre se ralentit bien vite dès lors que l’alto fait son entrée. Assez suave, James Ehnes déploie ses qualités lyriques sans jamais brusquer l’auditeur, en une lecture sage et convenue. Il faudra aller au-delà de cette version agréable mais bien réductrice, afin d’aborder l’énergie communicative d’un Leonard Bernstein, la poésie irrésistible de Colin Davis ou l’étoffe narrative de Thomas Beecham – tous essentiels dans ces pages de Berlioz.


Le disque s’avère intéressant pour ces rares compléments. Ainsi de l’ouverture Rob Roy, détruite par Berlioz après sa création calamiteuse en 1833 et finalement sauvée par la grâce d’une seconde copie. Cette œuvre reste peu jouée et enregistrée du fait de la reprise un an plus tard de deux de ses mélodies pour Harold en Italie. Une curiosité insolite servie par une orchestration différente, faisant notamment appel au hautbois en lieu et place de l’alto. Unique pièce composée par Berlioz pour violon solo, la romance Rêverie et Caprice (1841) reprend un air issu de l’opéra Benvenuto Cellini (1838), abandonné par le compositeur avant la création. Si elle ne constitue pas le chef-d’œuvre de son auteur, cette romance bénéficie du violon toujours séduisant de James Ehnes, autour d’un accompagnement orchestral attentif. Un disque plaisant mais qui manque par trop de caractère.

jeudi 20 août 2015

« New World Suite » et extraits symphoniques de l'opéra « Mandragola » d'Ignatz Waghalter - Alexander Walker - Disque Naxos


Naxos et Alexander Walker poursuivent leur exploration de la musique symphonique du compositeur germano-polonais Ignatz Waghalter (1881-1949) après un premier disque paru voilà trois ans. Totalement inédites au disque, les trois œuvres enregistrées permettent de retrouver ses qualités mélodiques irrésistibles. On découvre ainsi deux extraits de Mandragola, deuxième opéra composé en 1914 par ce natif de Varsovie, célébré largement en son temps avant de voir son succès interrompu par le premier conflit mondial. On y perçoit l’influence de Richard Strauss dans l’enchevêtrement virtuose des timbres, mais peut-être plus encore de Franz Schreker pour sa capacité à jouer de la mélodie principale avec les contrechants.

Redécouverte par Alexander Walker, la New World Suite n’a visiblement jamais été jouée depuis sa composition en 1939, deux ans tout juste après son installation définitive à New York. Pièce délicieuse, elle permet de se délecter du savoir-faire de Waghalter, qui mêle harmonieusement emprunts au jazz et au cabaret, rappelant souvent Gershwin, l’un de ses compositeurs favoris. On pense aussi à Chostakovitch et ses danses grotesques, tandis que Waghalter opte pour une orchestration fluide et légère, marquée par l’importance des vents et du piano. Les cuivres ne sont pas en reste mais c’est surtout la danse qui prédomine, les valses nombreuses apportant une atmosphère joyeuse, festive et colorée.


La toute dernière pièce gravée sur ce disque fait aussi appel à des rythmes de valse, mais son orchestration moins raffinée déçoit à force de lourdeurs. Au niveau interprétatif, l’Orchestre symphonique d’Etat «Nouvelle Russie» se montre à la hauteur de ces recréations. Fondée en 1990, cette formation, qui ne doit pas être confondue avec l’ancien orchestre de Yevgeny Svetlanov, est dirigée avec un admirable sens du rythme et des transitions par un Alexander Walker inspiré. Un disque idéal pour continuer à parfaire la connaissance de l’art d’Ignatz Waghalter.

samedi 15 août 2015

« Wallenstein » et autres oeuvres orchestrales de Vincent d’Indy - Rumon Gamba - Disque Chandos


Avec le sixième (et dernier) volume de son intégrale des œuvres orchestrales de Vincent d’Indy, le chef britannique Rumon Gamba signe une nouvelle gravure dans la lignée de celle saluée ici-même voilà deux ans. On retrouve une direction cultivant par trop le technicolor, mais qui offre une version magnifiquement captée de Wallenstein, l’une des plus belles œuvres de d’Indy. Fondée sur la pièce éponyme de Schiller, cette trilogie symphonique fut l’un des plus grands succès du vivant du compositeur – et inexplicablement absente des programmes de concert de nos jours. Révisés et joués ensemble à partir de 1887, ses mouvements ont d’abord été composés séparément de 1873 à 1880.

Le plus réussi est certainement Le Camp de Wallenstein qui surprend d’emblée par son atmosphère légère et sautillante (Dukas n’est pas loin), illustrant les qualités d’orchestrateur du compositeur. Très colorée, cette musique à programme offre une série de courts motifs toujours consonants, avant de s’achever en une sérénité majestueuse qui rappelle Elgar. Le deuxième mouvement, Les Piccolomini, apparaît plus wagnérien dans son épure aux cordes obsédantes – même si on pourra regretter un chef un rien timide ici, peu aidé par des bois aux sonorités étriquées. L’œuvre se conclut par La Mort de Wallenstein, en une ambiance sombre et aride. La direction équilibrée de Gamba apporte un plaisir constant, malgré des timbales trop pesantes sur la durée."


Les compléments s’avèrent tous intéressants, particulièrement le nouvel extrait de l’opéra Fervaal (après celui gravé dans le volume précédent). Les cordes frémissantes, inquiètes et interrogatives, impriment au Prélude de l’acte III une ambiance wagnérienne. De quoi donner envie d’écouter la suite. Le Lied qui suit apparaît d’un lyrisme séduisant mais finalement peu original. On retiendra surtout l’élégante Suite dans le style ancien, ici jouée avec un effectif augmenté aux cordes. De quoi rester dans l’optique de confort propre à Rumon Gamba: une bonne version d’attente en somme.

mercredi 12 août 2015

« Film music edition » d'Alfred Schnittke - Frank Strobel - Disques Capriccio


Particulièrement reconnue à l’étranger pour son originalité, la musique d’Alfred Schnittke (1934-1998) reste encore assez méconnue dans notre pays en raison du mépris constant affiché, notamment, par le courant boulézien mais aussi de la suspicion longtemps entretenue envers un compositeur possiblement perçu comme un soutien au régime soviétique. Pour autant, ce compositeur russe issu de la minorité juive lettone ne cesse de surprendre par ses jeux constants sur la dissonance et la consonance, ses allers-retours entre atmosphères élégiaque et satirique, tout comme le mélange savoureux de citations et d’ironie si caractéristique de son œuvre.

A côté de ses nombreuses partitions sérieuses, dont les célèbres Concerti grossi, Schnittke s’est particulièrement illustré dans la musique de film avec plus de soixante-dix partitions, composées de 1963 jusqu’à sa mort, se partageant entre courts et longs métrages, ainsi que des documentaires. On retrouve la veine mélodique immédiatement accessible du compositeur, richement colorée autour de son talent d’orchestrateur, en un choix de dix musiques sélectionnées par le chef allemand Frank Strobel. Si les deux grands noms du cinéma de cette période, Andreï Tarkovski et Alexandre Sokourov, sont absents de la longue liste des personnalités avec lesquelles Schnittke a travaillé, on retrouve tout de même les noms d’Elem Klimow, ici doublement représenté sur un disque entier consacré au film Les Aventures du dentiste (1965) et au documentaire Sport, sport, sport (1970).


On décèle précisément dans ces deux œuvres tout le goût pour le coloris orchestral propre au natif d’Engels, faisant appel à des instruments inattendus, tels le tam-tam et l’accordéon autour d’une surprenante citation de Tchaïkovski dans Sport, sport, sport, avant de basculer vers un tango à la Piazzolla – lui-même rapidement bousculé par l’irruption de la guitare électrique... Ces surprises ne confinent pas à l’effet permanent tant Schnittke sait varier son inspiration, trouvant davantage de légèreté avec Les Aventures du dentiste, où flûte et guitare apportent un éclairage évanescent – à la limite du maniérisme avec l’apparition du clavecin. On décèle là l’influence d’un Stravinski néobaroque en un mouvement lent qui évoque aussi Pachelbel.


Si certaines musiques de film apparaissent plus faciles d’accès avec leur souffle épique teinté de lyrisme, tels les deux films réunis sur le troisième disque, Rikki-Tikki-Tavi (1976) d’Alexander Sguridi et Le Conte de fées des errances (1982-1983) d’Alexander Mitta, elles montrent aussi l’apparition d’instruments typiques de leur époque – la batterie ou le synthétiseur. Œuvres de commandes, ces partitions ont aussi eu la particularité d’être réutilisées de très nombreuses fois par Schnittke pour ses «œuvres sérieuses». Un véritable laboratoire musical d’où l’on pourra percevoir les thèmes présents dans la Deuxième Sonate pour violon ou le Premier Concerto grosso.


Parmi les influences marquantes, celle de Chostakovitch se décèle dans le film d’Alexander Askoldow La Commissaire (1967), Ours d’argent à Berlin en 1988 suite à sa sortie sur les écrans occidentaux. La parodie grotesque de la danse de mariage apparaît ainsi percutante, tandis que les passages suivants, plus verticaux aux percussions, contrastent avec l’inspiration folklorique. La danse apparaît également omniprésente dans Clowns et enfants (1976) d’Alexander Mitta et le bien nommé La Valse (1969) de Viktor Titow, mais c’est surtout L’Harmonica de verre (1968) d’Andrei Khrzhanovsky qui permet à Schnittke de surprendre par sa capacité à créer des ambiances curieuses, proches de Varèse ou du bruitage. Ce climat fantastique se retrouve également dans L’Ascension (1976) de la regrettée Larissa Schepitko, où le superbe crescendo initial, sombre et inquiétant, évoque le Sibelius de la Septième symphonie tout en annonçant le John Adams de Harmonielehre par son minimalisme enivrant.


Ce coffret comblera autant les amateurs de musiques de film que les curieux d’un compositeur à l’inspiration aussi riche que protéiforme, porté par le geste attentif et précis d’un Frank Strobel remarquable. Une belle découverte.

mardi 11 août 2015

Oeuvres pour violon et orchestre de Josef Suk, Leos Janácek et Antonín Dvorák - Jirí Bělohlávek - Disque Supraphon


Installé au Royaume-Uni depuis plusieurs années, Jirí Bělohlávek n’en oublie pas de diriger régulièrement la prestigieuse Philharmonie tchèque en son pays natal, comme en témoignent ces gravures, captées sur le vif, consacrées à des œuvres concertantes pour violon. Si le natif de Prague a déjà enregistré le Concerto pour violon de Dvorák en 2003 avec Pavel Sporcl, on le retrouve cette fois autour de l’archet souverain de son jeune compatriote Josef Spacek (né en 1986), premier violon de l’orchestre. Les deux hommes épousent une vision aux attaques sèches dans les passages verticaux, admirablement étagée et détaillée, sans oublier un sens du coloris orchestral toujours aussi éloquent chez Bělohlávek. Alors même que la prise de son le favorise indéniablement, Spacek ne cherche pas à se mettre au premier plan et évite tout vibrato ou séduction facile. Cette lecture rapide, sans respiration excessive, sait aussi s’apaiser dans les passages plus lents, ne perdant jamais de vue l’élan global. Un parti pris sans lyrisme qui donne à cette œuvre un regard plus moderniste, au finale exalté. Une grande version de cette œuvre contemporaine de la Sixième Symphonie (1880), qui sort ainsi de l’ombre du célèbre et incontournable Second Concerto pour violoncelle composé quinze ans plus tard pendant la période américaine.

Le disque est complété par une Fantaisie pour violon (1903) beaucoup moins connue, due au Tchèque Josef Suk (1874-1935). Un compositeur à ne pas confondre avec son petit-fils violoniste, qui a laissé un enregistrement fiévreux de cette œuvre avec Václav Neumann (Supraphon, 1984). Bělohlávek choisit quant à lui d’opposer un déchainement orchestral, intense et dramatique, face au violon plus serein de Spacek. La fin de l’œuvre, plus sautillante, recherche davantage de couleurs, bénéficiant de la splendide captation sonore. Avec le Concerto pour violon «L’Errance d’une petite âme» (1926) de Janácek, on retrouve cette lecture moderniste qui ne cherche pas à lier les éléments disparates caractéristiques de cette œuvre de la dernière manière du maître tchèque. Là encore, le violon cravache en des attaques rudes qui refusent toute envolée narrative, s’opposant en cela à la version récente de James Ehnes, plus consensuel. Rien de tel chez Bělohlávek, qui surprend jusque dans les dernières mesures de l’œuvre, imprimant un cri déchirant et inattendu aux cordes dans l’aigu.

Assurément une lecture très personnelle dans le travail d’accompagnement orchestral, même si les amateurs de violon pur pourront être déçus par cette version qui ne cherche pas à mettre outre mesure le soliste au premier plan.

mardi 4 août 2015

« Les Danaïdes » d'Antonio Salieri - Christophe Rousset - Disque Ediciones Singulares


Ce neuvième volume de la série «Opéra français» réalisée par le Palazzetto Bru Zane depuis 2012 est aussi le deuxième réalisé par Christophe Rousset après la très belle réussite du Renaud de Sacchini en 2013. Ce nouvel enregistrement a été réalisé à Metz, dans la foulée des représentations viennoise et versaillaise, mixant captation sur le vif et en studio. On retrouve avec bonheur la transparence frémissante de Rousset, attentif à révéler chaque détail orchestral sans sacrifier au rythme enlevé qu’il s’assigne d’emblée. C’est d’autant plus marquant que ces Danaïdes se montrent une œuvre inspirée, souvent relancée par l’énergie frénétique imprimée aux cordes. Salieri a sans doute bénéficié des retouches de son maître Gluck, qui fit croire lors de la création parisienne en 1784 qu’il était l’auteur de cette tragédie lyrique. Une supercherie rapidement révélée mais qui eut l’avantage de lancer brillamment la carrière parisienne du jeune inconnu Salieri.


On note tout au long de la partition le grand rôle de l’orchestre, inventif et chambriste, mais aussi du chœur, véritable personnage à part entière. Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles ravissent à chaque intervention, particulièrement au niveau de leur diction très précise, d’une belle lisibilité. Un atout également audible chez les deux principaux solistes masculins, tous remarquables à cet égard. Tassis Christoyannis (Danaüs) impressionne ainsi toujours autant par ses belles qualités de projection, même si on pourra regretter un timbre manquant quelque peu de couleurs. Philippe Talbot (Lyncée), à la voix claire toujours éloquente, apporte un véritable rayon de soleil vocal, tandis que Judith van Wanroij (Hypermnestre) apporte tout autant de satisfaction, seulement gênée par une maîtrise imparfaite du français. Un disque hautement recommandable pour parfaire la connaissance du petit maître Salieri.

« Don Pasquale » et « L’elisir d’amore » de Gaetano Donizetti - Glyndebourne Opera House - Coffret de 2 DVD Opus Arte

En réunissant les deux plus belles réussites comiques de Donizetti, L’Elixir d’amour et Don Pasquale, Opus Arte réédite en un élégant coffret deux productions de très bonne tenue créées respectivement en 2009 et 2011. Les deux spectacles optent pour une transposition de l’action qui s’appuie sur des costumes d’époque et de magnifiques décors, s’en tenant à une illustration assez classique mais d’une grande précision dans les détails savoureux mis en avant.

L’Elixir d’amour se voit ainsi transporté dans les années 1940, prétexte à un spectacle visuellement agréable mais trop peu original. Si la captation sonore surprend positivement, la direction un peu tonitruante de Maurizio Benini souligne trop les arrêtes, en une optique verticale. Le plateau vocal réuni convainc davantage, particulièrement un Peter Auty (Nemorino) au timbre séduisant, d’une belle souplesse dans les changements de registres. Ekaterina Siurina interprète quant à elle une Adina confondante d’aisance, même si l’on peut préférer un chant plus nuancé. A ses côtés, Alfredo Daza tient bien son rôle de Belcore, malgré un timbre un peu terne, au léger vibrato. On est plus déçu par le Dulcamara très en voix de Luciano Di Pasquale, peu captivant dans son jeu d’acteur. Un rôle pourtant en or grâce à ses considérables possibilités comiques. On retiendra enfin une superlative Eliana Pretorian (Giannetta), très à l’aise tout au long du spectacle.

Plus satisfaisante est la production de Mariame Clément, très inspirée par Don Pasquale, l’un des tout derniers opéras de Donizetti. Le choix de transposer l’action au XVIIIe siècle, rapprochant ainsi le livret de ses origines indissociables de la commedia dell’arte, s’avère un choix aussi opportun que délicieux. Les placements du chœur, tout de blanc vêtu au dernier acte, évoquent ainsi un tableau de Tiepolo, magnifié par les éclairages très à propos. La mise en scène cherche aussi à réduire le statisme du livret en animant constamment le plateau, notamment par l’ajout du personnage muet de la servante. Utilisé parcimonieusement lors des passages orchestraux ou lors des interventions du chœur, le plateau tournant permet également au spectateur de découvrir les scènes à venir et de se régaler de saynètes rapidement résolues. Côté voix, Alessandro Corbelli compose un attachant Don Pasquale, dont le timbre quelque peu usé apparaît en phase avec le rôle. Le cas de Danielle de Niese (Norina), qui a chanté le même rôle à San Diego en 2012, est plus problématique, ravissant par son éclatante puissance et ses moyens insolents, tout en agaçant par un détimbrage prononcé dans les nuances mal maîtrisées. A ses côtés, Alek Shrader (Ernesto) et surtout Nikolay Borchev (Malatesta) sont justement applaudis pour leur aisance vocale. Mais c’est surtout la direction finement ouvragée d’Enrique Mazzola, actuel directeur musical de l’Orchestre national d’Ile-de-France, qui impressionne tout du long. Alternant élégances et traits de caractère, sa direction tout en souplesse épouse les moindres inflexions pour leur donner sens, en évitant toute lourdeur. Assurément un chef à suivre dans ce répertoire plus difficile à interpréter qu’il n’y paraît.

lundi 3 août 2015

« La Favorite » de Gaetano Donizetti - Glyndebourne Opera House - DVD Opus Arte


Depuis ses débuts en tant que metteur en scène en 2011, Vincent Boussart continue de parcourir l’essentiel des maisons d’opéra germaniques tout en se faisant connaître peu à peu en France, aidé par ses inséparables compères Vincent Lemaire, Christian Lacroix et Guido Levi. On se souvient ainsi de deux productions hexagonales qui avaient retenues l’attention l’an passé, L’Amico Fritz et Un bal masqué. Aujourd’hui présentée en vidéo, la nouvelle production de La Favorite montée à Toulouse début 2014 n’échappe pas aux partis pris habituels de cette équipe, fondés sur un imaginaire très visuel à l’esthétique épurée. Pratiquement sans décor ou accessoire, cette mise en scène repose sur l’étonnante capacité à varier les éclairages – osant des contre-jours stylisés ou opposant le vert sur fond rose – afin de réinventer sans cesse le regard porté sur les interprètes, magnifiés par les splendides costumes de Lacroix. Assumant le glamour chic, cette lecture d’une réelle séduction visuelle apporte un soin constant au choix des couleurs, aux ambiances morbides ou irréelles, presque fantastiques, sans oublier des traits savoureusement décalés telle la présence d’un improbable paon tout de paillettes revêtu. Car c’est bien là l’idée principale de l’ancien assistant de Yannis Kokkos, celle de faire de cette histoire un rêve fantasmé par Fernand, cerné par les mirages de la tentation. Une idée déjà imaginée à Zurich en 2006 par Philippe Sireuil, aidé de Vincent Lemaire. Si l’on peut y voir la justification de l’imaginaire visuel développé tout au long du spectacle, force est de constater que ce travail ne facilite pas l’impact théâtral – les personnages apparaissant souvent figés, sans parvenir à faire oublier les insuffisances d’un livret bavard et pauvre en rebondissements dramatiques.

A cette mise en scène mitigée répond un plateau vocal des plus convaincants, dominé par un vibrant Yijie Shi (Fernand), à la diction remarquable, sans parler de sa ligne de chant exemplaire qui épouse la prosodie en respectant chaque syllabe. Un véritable délice à chaque intervention. A ses côtés, le toujours impeccable Ludovic Tézier (Alphonse) nous régale de son timbre porté par une projection toujours aussi éloquente, même si son jeu d’acteur s’avère toujours d’un minimalisme désarmant. Aucun problème de ce point de vue pour Kate Aldrich, qui apporte à sa Léonor sa voix charnue et puissante – presque trop, notamment lors des récitatifs. Si Marie-Bénédicte Souquet incarne une superlative Inès, Giovanni Furlanetto n’offre qu’un pâle Balthazar, trop souvent dépassé par les difficultés vocales de son rôle. On notera enfin la direction très équilibrée d’Antonello Allemandi qui met en valeur un bon orchestre du Capitole de Toulouse. Un spectacle à découvrir pour son plateau vocal principalement.