mercredi 25 février 2015

« Jenůfa » de Leos Janácek - Opéra de Stuttgart - 20/02/2015

Emblématique représentant du Regietheater, Calixto Bieito reste pratiquement inconnu en France. Il effectue en effet depuis quinze ans l’essentiel de sa carrière en Allemagne, avec quelques exceptions récentes à Anvers (Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny et Lady Macbeth du district de Mtsensk) ou Zurich (Les Soldats). A chaque fois, un parfum de scandale précède ses productions, le public s’interrogeant sur le degré de nudité et de violence instillé dans l’œuvre adaptée. Rien qui ne surprenne désormais le public de l’Opéra de Stuttgart, habitué au travail de Bieito, régulièrement accueilli dans la capitale du Bade-Wurtemberg. C’est précisément sa toute première mise en scène réalisée en 2007 que Stuttgart remet cette année à l’honneur, avec Jenůfa de Janácek.

Pas de scandale cette fois, le metteur en scène espagnol se contentant d’une transposition cohérente en un contexte ouvrier, où l’héroïne trie des vêtements dans un vaste espace qui figure une usine désaffectée. Autour de cette ambiance sinistre, seulement teintée des lumières orange d’une fonderie voisine, les personnages secondaires jouent au ping-pong et se rient dès l’ouverture du drame à venir. Rapidement, le déchaînement hystérique et bestial de la foule fait place à la scène resserrée lors du deuxième acte, où l’on entend les cris du bébé pendant l’action. Les chaises valsent au dernier acte, transformé en un immense atelier de couture. Autant d’ajouts qui mettent parfois la musique au second plan, la mise en scène n’hésitant pas à prendre le pouvoir. L’idée la plus contestable est certainement le long silence ajouté lors du finale, avant le tout dernier duo entre Jenůfa et Laca. La grande force du travail de Bieito consiste cependant à ne jamais relâcher la bride d’une tension étouffante, à l’impact saisissant dans les scènes de foule.


Il faut dire que la direction de Sylvain Cambreling accentue le dramatisme dès les premières mesures de l’opéra. Attaques sèches et abruptes, exaltation des contrastes, l’atmosphère est irrespirable. Assez raide, cette vision s’assouplit habilement dès le deuxième acte pour clore l’œuvre en un tempo plus mesuré, laissant percevoir des détails inattendus. Dommage que l’orchestre couvre parfois les chanteurs. Un problème acoustique, sans doute dû à une sonorisation excessive de la fosse au détriment de la scène, audible à l’orchestre comme au premier balcon. Seul Gergely Németi (Steva) se fait piéger par ce déséquilibre, peinant à déployer son timbre subtil. Rien de tel pour l’impériale Angela Denoke, vivement applaudie à l’issue de la représentation. Si l’aigu s’est un peu durci, elle imprime à sa Kostelnicka un jeu théâtral captivant de bout en bout. Elle n’est pas pour rien dans l’émotion qui affleure au dernier acte, bouleversant. A ses côtés, Rebecca von Lipinski compose une touchante Jenůfa, très à l’aise vocalement. Mais c’est encore une fois l’impeccable Pavel Cernoch (Laca) qui rayonne de son chant clair parfaitement articulé et projeté. Autre satisfaction avec la Grand-mère Burya de Renate Behle, aux graves saisissants, ou la Femme du maire de Maria Theresa Ullrich, pétillante dans son court rôle. Assurément, un spectacle d’une très belle tenue, au plateau vocal de luxe.

mardi 24 février 2015

« Il Vologeso » de Niccolò Jommelli - Opéra de Stuttgart - 19/02/2015


Fortement touchée par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, la ville de Stuttgart a miraculeusement conservé son opéra construit en 1912. Si sa colonnade en rotonde affiche une élégance toute classique en extérieur, c’est surtout la décoration intérieure qui surprend par son assemblage audacieux de couleurs grise, mauve et miel. Une réussite visuelle qui fit qualifier l’ensemble de «plus bel opéra du monde» par le metteur en scène Max Reinhardt. Mais la tradition de cette grande maison remonte plus loin encore autour de la prestigieuse Cour ducale de Wurtemberg, capable d’attirer les plus grands compositeurs de son temps, tel Niccolò Jommelli (1714-1774), à la renommée grandissante avec ses premiers succès Demofoonte, repris en fin de carrière (et donné en juin 2013 à Paris), ou La Didone abbandonata.


Admiré par Mozart, qui lui rendit précisément visite à Stuttgart, le compositeur napolitain occupe les fonctions de maître de chapelle à la Cour de Wurtemberg pendant seize ans, de 1753 à 1769. Pas moins de vingt opéras sont composés lors de cette période prolifique, à l’instar d’Il Vologeso (1766), un dramma per musica enregistré par Frieder Bernius en 1997 chez Orfeo. Afin de fêter les trois cents ans de la naissance de Jommelli, l’Opéra de Stuttgart organise de nombreux concerts et conférences pendant la saison 2014-2015 et se paie le luxe d’une nouvelle production scénique d’Il Vologeso due à Jossi Wieler et Sergio Morabito. Inséparables compagnons de route bien connus dans les pays germaniques (voir notamment leur Rusalka salzbourgeoise en 2008), ils surprennent d’emblée par une scénographie qui mélange éléments contemporains (des habitations dégradées en arrière scène) et anciens (colonnes et escaliers antiques), tandis que les différents personnages jouent de la même dualité autour de leurs habits sans cesse revisités en des croisements tout aussi décalés. Cette atmosphère irréelle apporte une étrangeté constante à l’histoire des amours contrariés de Vologeso avec Berenice – cette dernière en prise avec le désir ardent de l’empereur romain Lucio Vero, lui-même convoité par Lucilla.


Si la mise en scène privilégie la direction d’acteurs, au plus près des corps avec moult accessoires, elle enrichit l’action d’une attitude ambiguë de Berenice lors du retour inattendu de Vologeso en tout début d’opéra. Les postures complices avec Lucio Vero ne trompent pas, l’héroïne devra faire un choix douloureux entre les deux prétendants. Wieler et Morabito apportent aussi quelques touches comiques savoureuses, tels ces rugissements de lion enragé ajoutés lors de la lutte dans les arènes, ou encore l’utilisation de la tessiture grave du contre-ténor en quelques occasions – sans parler des habituels jeux scéniques autour des vocalises. Autant d’ajouts qui permettent de passer outre l’alternance un rien fastidieuse entre récitatifs et airs, Jommelli s’autorisant un unique quatuor après le combat contre le lion, puis un beau duo entre Vologeso et Berenice. On notera aussi un étonnant finale conclu, après la traditionnelle concorde morale entonnée par l’ensemble des protagonistes, par un mouvement orchestral aussi long que l’Ouverture. Une construction en arche qui permet à Wieler et Morabito de terminer comme ils avaient commencé, les personnages se déshabillant à nouveau pour revêtir des habits neufs.


Le plateau vocal réuni convainc de bout en bout par son homogénéité. Très applaudie, Sophie Marilley (Vologeso) montre une belle aisance dans l’articulation d’un timbre séduisant, seulement gêné par un très léger vibrato. L’idée de confier ce rôle à une femme (contrairement au disque de Bernius) apporte un incontestable confort vocal. A ses côtés, la Berenice d’Ana Durlovski offre beaucoup de caractère à son rôle, tout en montrant une belle agilité dans les vocalises, et ce malgré une projection parfois insuffisante. Sebastian Kohlhepp (Lucio Vero) dispose d’un beau timbre, assez clair, mais dont l’interprétation se révèle trop appliquée. Tout le contraire d’une rageuse Helene Schneiderman, déjà présente dans l’enregistrement de Bernius, qui offre beaucoup de relief et de couleurs à Lucilla. Les seconds rôles sont parfaits, particulièrement un superlatif Igor Durlovski en Aniceto.


Dans la fosse, l’ancien directeur musical de l’Opéra de Stuttgart, Gabriele Ferro, apporte beaucoup de dynamisme à son ensemble, parfois un peu aigre au niveau des cordes – très sollicitées. Dans l’ensemble, une très belle soirée, vivement applaudie à l’issue de la représentation. On retrouvera prochainement Niccolò Jommelli à l’affiche de plusieurs maisons d’opéra, dont Naples en mai prochain avec L’isola disabitata, ou lors du festival d’Innsbruck en août, avec Don Trastullo (La cantata e disfida di Don Trastullo).

mardi 17 février 2015

Oeuvres vocales de Martial Caillebotte - Orchestre Pasdeloup - Disque Hortus


On doit aux recherches de Benoît Riou et à la curiosité de Michel Piquemal la redécouverte de la musique de Martial Caillebotte (1853-1910), frère du célèbre peintre impressionniste. Infatigable touche à tout, le cadet des frères Caillebotte s’est tout autant passionné pour la photographie – une exposition au musée Jacquemart-André s’en est fait l’écho en 2011 – que pour la faïence ancienne ou la philatélie. C’est bien cependant la composition qui était la principale occupation de cet héritier richissime dégagé des contingences matérielles, peu intéressé par la nécessité de faire connaître ses œuvres – très peu éditées de son vivant comme après sa mort. Mais là où son parfait contemporain Ernest Chausson, lui aussi financièrement aisé, avait l’ambition de se faire un nom, Martial Caillebotte resta dans l’ombre de ses frères. La musique de cet élève d’Antoine Marmontel et Théodore Dubois se ressent de l’influence de Wagner, immédiatement perceptible, mais également française avec des transitions fluides et une absence d’emphase.

Des qualités déjà perçues dans le premier enregistrement mondial de la Messe solennelle de Pâques, son chef-d’œuvre de la pleine maturité composé en 1896 et enregistré par Michel Piquemal et son Chœur Vittoria voilà trois ans. On retrouve ces interprètes dans un disque consacré aux œuvres vocales de Martial Caillebotte, toutes issues des années 1880. La position éminente de son frère Alfred, curé de la paroisse de Notre-Dame-de-Lorette de 1886 à 1896, explique l’importance de sa production religieuse dans un catalogue quantitativement modeste.


Avec le Dies Irae, composé en 1882, Caillebotte convoque un grand orchestre qui s’appuie sur les teintes sombres d’un chœur omniprésent, en contraste avec les différentes interventions solistes, plus lumineuses. La souplesse des transitions impressionne tant le flux continu s’écoule harmonieusement – les phrases interrompues rappelant Bruckner sans pour autant recourir à une orchestration trop cuivrée, sans effets de masse ou silences prolongés, aux dissonances rares. Le timbre clair de Philippe Do fait merveille, mais c’est surtout Karine Deshayes, très impliquée, qui convainc pleinement avec ses couleurs charnues.


Changement d’atmosphère avec Une Journée (1889), sorte de suite pour orchestre entrecoupée de passages pour récitant seul. Variant habilement les climats, Caillebotte déploie toutes les facettes de son imagination mélodique, en une orchestration toujours subtile, tandis que le chœur n’intervient pratiquement pas. La direction équilibrée de Michel Piquemal respire sans perdre de vue l’architecture globale, bien soutenu par un Orchestre Pasdeloup en forme. On est moins convaincu en revanche par les passages poétiques (dus à Edouard Blau, colibrettiste du Cid de Massenet – entre autres) récités par Eric Génovèse, un peu raide. Avec le Psaume 132 (1887), dernière œuvre gravée sur ce disque, Caillebotte loue la fraternité en une musique lumineuse et gracieuse, en évitant là encore toute emphase. Le Chœur Vittoria fait à nouveau valoir ses qualités de cohésion – le tout parfaitement capté autour d’une réverbération adéquate.


Autant de raisons de se précipiter sur un disque – superbe hommage à un compositeur méconnu – qui bénéficie de surcroît d’un minutage généreux et d’un livret très instructif.

dimanche 8 février 2015

Concert de l'Orchestre national de France - Auditorium de la Maison de la Radio - 05/02/2015


Andrey Boreyko
Après la défection de Jirí Bělohlávek, initialement prévu pour diriger ce concert, on s’interrogeait encore sur la cohérence de ce programme réunissant de la musique française, germanique, russe et tchèque, sans parler des époques différentes de composition. Au menu, trois chefs-d’œuvre avec en guise d’apéritif une courte pièce méconnue de Jacques Ibert, en hommage à Mozart certes, mais qui fait surtout l’étalage de couleurs pétillantes – idéales pour débuter un concert et chauffer l’orchestre. Andrey Boreyko, directeur musical de l’Orchestre national de Belgique, séduit d’emblée par la parfaite mise en place de l’Orchestre national de France, d’où ressortent des sonorités variées bien mises en valeur par l’acoustique du nouvel auditorium de la Maison de la radio, inauguré en novembre dernier. Chaque instrument est immédiatement identifiable spatialement, même si les cordes prennent souvent l’avantage, en une réverbération trop discrète.

C’est particulièrement notable dans la Trente-neuvième Symphonie de Mozart où, malgré une texture chambriste aux cordes, les bois ressortent peu. Une discrétion due à la lecture très personnelle du chef russe, très droite, à la limite de la raideur dans cette œuvre. Cursive dès l’introduction, la battue avance, sans climats ou mystères, en une volonté de clarté, très rythmique, assise sur des notes courtes, sans vibrato. Cette optique analytique et intellectuelle convient mieux au deuxième mouvement, abordé sans pathos, comme en apesanteur, avec des passages étonnants, pratiquement en sourdine. Boreyko retrouve un vif tempo dans le menuet, très péremptoire. Une lecture qui en impose, mais qui reste sèche. Le final s’avère réussi, l’allégement des textures apportant un constant relief, une variété inattendue dans cette œuvre bien connue. Une direction intéressante, même si on peut parfois être agacé par cette propension à accélérer les passages rapides, et inversement à ralentir les passages plus lents.


Avec le Second Concerto pour violon de Prokofiev, Andrey Boreyko poursuit dans la même veine, en un accompagnement chambriste davantage legato, mettant particulièrement en valeur la soliste. Arabella Steinbacher possède un beau tempérament, une volonté constante de couleurs dans son archet. Vive et précise, elle domine aisément son sujet, même si l’on pourrait souhaiter, ici et là, davantage de puissance. Le mouvement lent est une nouvelle réussite pour Boreyko, autour du rythme hypnotique de l’orchestre soudain apaisé, d’une séduisante douceur. Steinbacher poursuit son festival de couleurs, avec beaucoup d’autorité dans le finale, poursuivi en bis par le premier mouvement de la Sonate pour violon seul, du même Prokofiev.


L’orchestre s’étoffe considérablement avec Taras Bulba de Janácek, ce qui n’empêche pas Boreyko de rester dans son optique séquentielle, assez lente, très allégée. On perd souvent l’architecture générale de l’œuvre pour se délecter des détails de l’orchestration si originale ici révélés. Un geste qui gomme toute scorie postromantique pour rapprocher Janácek du Stravinski du Sacre du printemps. On est séduit aussi par l’orgue envoûtant, étreignant le public en quelques notes au début de l’œuvre, tandis que le finale refuse toute apothéose. Une lecture probe, impressionnante à défaut de bouleverser.

mercredi 4 février 2015

« Lohengrin » de Richard Wagner - Opéra de Rennes - 02/02/2015


Créée à Cobourg l’an passé, la nouvelle production de Lohengrin présentée à Rennes en ce début d’année séduit d’emblée par sa scénographie en forme de huis clos oppressant. Le décor unique pendant les trois actes semble ne faire qu’un avec la petite salle bretonne et s’avère particulièrement efficace, même s’il n’innove guère. La concentration se fait immédiatement autour d’un vaste gradin frontal qui occupe la quasi-totalité de la scène, ouvert opportunément pour offrir une entrée (ou une sortie) en majesté à Lohengrin lors de chaque acte. Seuls quelques rares espaces au-devant et sur les côtés échappent à cette emprise, tandis qu’une rampe permet aux personnages d’aller et venir depuis une loge d’orchestre.

Autour de l’opposition entre bien et mal, classiquement symbolisée par le blanc et le noir dans les costumes, l’action est transposée pendant la Seconde Guerre mondiale, en une vaste salle de renseignement très affairée où le Roi et son Héraut s’expriment au micro. La mise en scène de Carlos Wagner – aucun lien de parenté avec le compositeur – reste très fidèle à l’œuvre originale par son respect de l’urgence propre à la nécessité de trouver un sauveur en ces temps troublés, se concentrant sur une direction d’acteur nerveuse et mouvante, particulièrement au niveau de l’excellent chœur – véritable acteur de ce huis clos. C’est probablement cette disposition des voix qui donne un impact si fort pendant toute la représentation, permettant de distinguer chaque individualité de timbres sur les gradins.


Côté solistes, le plateau se montre très homogène, hormis le choix très contestable du rôle-titre chanté par Christian Voigt, constamment à la peine. Une voix à l’émission étroite, qui peine à déployer un timbre bien terne. La ligne de chant elle-même semble mise à mal par une voix incapable de se poser. Difficulté technique d’un soir ou usure prématurée de la voix? Le silence gêné du public, après avoir offert un tonnerre d’applaudissement à l’Ortrud de Catherine Hunold, marquait bien la déception d’une soirée inaboutie faute d’un Lohengrin convenable. Drapée d’une longue robe noire, la soprano dramatique française a encore une fois imposé son sens du théâtre. Une présence vocale aussi, superbement projetée dans les aigus, avec des graves séduisants, même si l’on pourra encore lui reprocher quelques approximations dans les accélérations – faisant l’impasse sur quelques notes devenues inaudibles. C’est particulièrement net dans son duo avec Anton Keremidtchiev, familier du rôle de Telramund (voir ici), tant le Bulgare fait preuve d’une intonation précise et d’une déclamation éloquente, véritable valeur sûre pendant toute la soirée.


Autre satisfaction avec l’Elsa toute de fragilité de Kirsten Chambers, petite voix subtile et touchante, parfaitement en phase avec la vision d’une chose hallucinée, au regard hagard, voulue par Carlos Wagner comme un double de Marie – annonciatrice du Sauveur. A ses côtés, Gregory Frank compose un Roi tout de noblesse dans la déclamation, à la projection idéale, tandis que Nikolaï Efremov offre un superlatif Héraut. Après un début hésitant aux cordes dans le Prélude, Rudolf Piehlmayer conduit l’Orchestre de Bretagne avec une belle vigueur, toujours attentif à ne pas couvrir ses chanteurs, en une direction équilibrée et respectueuse de l’œuvre.


Un spectacle qui aura séduit le public breton, et ce bien avant la première donnée fin janvier, affichant complet pour les quatre représentations données à Rennes. De quoi réconforter les choix de cette maison d’opéra qui, avec son petit budget, se hisse très souvent au niveau de ses consœurs mieux dotées.

lundi 2 février 2015

« Iolanta » de Piotr Ilyitch Tchaïkovski - Anna Netrebko - Disque Deutsche Grammophon


Star parmi les stars, Anna Netrebko ne se contente heureusement pas des compilations d’airs d’opéra élaborées à sa seule gloire par Deutsche Grammophon. Et c’est heureux, tant ses incursions dans le domaine du récital n’ont pas toujours convaincu – la soprano austro-russe ayant une fâcheuse tendance à prendre l’avantage sur le chef pour mieux imposer son tempo. Rien de tel ici, tant l’entente avec le chef français Emmanuel Villaume fonctionne pour contribuer à faire connaître plus encore le tout dernier opéra de Tchaïkovski, l’un des chevaux de bataille de Netrebko. Composé en même temps que le ballet Casse-Noisette et peu de temps avant la Sixième Symphonie, cet opéra en un acte et neuf scènes souffre de ce double voisinage illustre, particulièrement au niveau d’une inspiration mélodique moins saillante. D’une durée d’un peu plus d’une heure, l’œuvre est le plus court des ouvrages lyriques de son auteur, souvent critiqué comme une succession de romances à une ou deux voix. Tchaïkovski surprend néanmoins par la poésie de son orchestration plus chambriste qu’à l’habitude, laissant la part belle aux vents au détriment des cordes.

On retrouve ici la captation sur le vif d’un concert donné à Essen en 2012 avec toute l’équipe réunie autour d’Emmanuel Villaume lors d’une vaste tournée européenne à laquelle Paris n’avait pas échappé. Incontestable réussite, ce disque sorti en début d’année bénéficie de la présence immédiatement marquante de Netrebko, au timbre un peu plus sombre au fil des années, toujours aussi incroyable d’aisance dans tous les registres. La beauté du timbre corsé, comme la parfaite articulation, sont un régal de chaque instant. Un disque qui vaut aussi par un entourage à la hauteur de Netrebko. Vitalij Kowaljow compose un roi René touchant, bouleversant dans son air célèbre «Seigneur, si j’ai péché». A ses côtés, la vaillance de Sergey Skorokhodov impose un Vaudémont au timbre clair, parfaitement projeté. Lucas Meachem (Ibn-Hakia) est moins marquant mais assure bien sa partie, comme le reste de la distribution.


Pour ce tout premier disque gravé pour Deutsche Grammophon, l’Orchestre philharmonique de Slovénie surprend par des couleurs n’ayant rien à envier aux plus prestigieuses phalanges. Dommage que la captation de l’orchestre paraisse si peu naturelle, avec des instruments placés au plus près des micros – les voix surexposées dominant l'orchestre. D’où la désagréable impression de ne pas entendre tout le détail des différents pupitres de cordes, contrairement aux versions Gergiev (Philips, 1996) ou Rostropovitch (Erato, 1986). La réverbération de l’enregistrement donne un caractère enveloppant à la direction de Villaume, très lyrique mais moins narratif que ses aînés. Quelques réserves qui font manquer à cette gravure la note maximale – mais qui reste d’un haut niveau.


A noter qu’une nouvelle production de Iolanta est donnée à New York en ce début d’année 2015, menée par Valery Gergiev avec une distribution différente (hormis Netrebko) – un spectacle à découvrir dans les cinémas Pathé/Gaumont le 14 février 2015.