vendredi 29 mai 2015

« Oeuvres pour trompette de Delerue, Beffa, Jolivet, Robin et Matalon » - Romain Leleu - Disque Aparté


L’infatigable curiosité du trompettiste Romain Leleu (né en 1983) nous vaut un audacieux quatrième disque chez Aparté, après ses enregistrements consacrés à la musique slave, aux concertos classiques de Haydn à Hummel, en passant par un album d’extraits variés accompagnés par un quintette à cordes (« Sur la route », 2013). Cette fois-ci, le trompettiste français s’intéresse à la musique contemporaine, avec trois œuvres enregistrées pour la première fois au disque, y adjoignant des concertos de Georges Delerue (1925-1992) et André Jolivet (1905-1974). Delerue reste principalement connu comme compositeur de plus de trois cents musiques de film pour Truffaut, Resnais, Godard et tant d’autres, faisant oublier qu’il fut un élève de Darius Milhaud s’illustrant dans l’opéra comme dans la musique de chambre. C’est précisément son Concertino pour trompette (1951) que l’on retrouve au programme, œuvre nerveuse assez courte, aux dissonances verticales, où Leleu prouve qu’il n’a rien perdu de la musicalité déjà acclamée précédemment.


Contraste total avec le Concerto de Karol Beffa (né en 1973), beaucoup plus facile d’accès en comparaison. Rien d’original musicalement mais la mélodie affiche une belle progression dramatique, un rien mélancolique aussi. Retour à la musique du milieu du XXe siècle avec Jolivet, autour de son Premier Concerto pour orchestre à cordes et piano de 1948 – à ne pas confondre avec celui plus connu de 1954. On retrouve les dissonances propres au style du compositeur français, beaucoup plus contrasté que le méditatif Beffa. Si le court Chant de l’âme de Jean-Baptiste Robin (né en 1976) affiche une sérénité contemplative, Trame XII de Martin Matalon (né en 1958) nous plonge dans un océan de bruitages orchestraux aussi inquiétants qu’imaginatifs.


Romain Leleu bénéficie de l’accompagnement orchestral attentif de l’impeccable Roberto Forés Veses à la tête de l’Orchestre d’Auvergne, ainsi que d’une prise de son mettant en valeur la chaleur de son instrument. Encore une réussite à saluer pour l’excellent trompettiste français.

« Reynaldo Hahn, un éclectique en musique » de Philippe Blay (direction) - Actes Sud Beaux Arts/Palazzetto Bru Zane


Cantonné à ses ravissantes mélodies et ses non moins délicieuses opérettes, l’œuvre de Reynaldo Hahn (1874-1947) reste encore à découvrir. C’est l’un des constats que l’on peut faire après la lecture de cette passionnante somme due au soutien actif de la fondation du Palazzetto Bru Zane pour la musique française. L’origine de l’ouvrage remonte à l’organisation d’un colloque éponyme voilà quatre ans, destiné à mieux faire connaître tout aussi bien l’œuvre que l’homme Hahn. Une figure à bien des égards secrète et pudique mais dont la correspondance avec Proust, notamment, nous révèle la personnalité attachante et érudite, volontiers malicieuse. L’article sur les rapports entre les deux hommes s’avère édifiant, davantage sur les fondements et apports de leur amitié durable que sur le peu de sources liées à leur relation amoureuse. Véritable «périscope de Proust», Hahn transmet sa curiosité pour le spectacle vivant au reclus, sans parvenir pour autant à le convaincre de la supériorité musicale du néoclassicisme sur le postsymbolisme ou le wagnérisme.

Hahn reste un conservateur assumé, incapable de se séparer de sa «tendresse filiale» pour son maître Massenet, tout comme son admiration pour Saint-Saëns (avec qui les rapports ne sont pas aussi harmonieux) et surtout Mozart. Il est ainsi rappelé combien Hahn fut un précurseur s’agissant de la production de ses opéras, donnés en langue originale et débarrassés des scories romantiques ajoutées avec les années. Si l’ouvrage tente de remettre en question la réputation tenace de mondain dilettante du compositeur d’origine germano-vénézuélienne, il n’y parvient qu’à moitié, omettant de confronter Hahn à ses contemporains Debussy, Stravinsky, Richard Strauss, les véristes ou encore le groupe des Six. L’impressionnante liste des personnalités éminentes fréquentées dans les salons laisse aussi sur sa faim: en quoi tel ou tel a-t-il influé sur les compositions (commandes) ou les postes occupés (critique, directeur d’opéra, etc.)? Peut-être un manque de sources en la matière. De même, les sources semblent bien partielles pour parvenir à percer le mystère d’un compositeur finalement peu influencé, dans sa musique, par la Première Guerre mondiale – un conflit auquel il participe activement, tout juste après sa naturalisation obtenue en 1912.


Un peu plus de la moitié de l’ouvrage regroupe par ailleurs des analyses de l’œuvre de Hahn, des grandes figures imposées – des mélodies à Ciboulette, en passant par son opéra Le Marchand de Venise – aux raretés bienvenues – les ballets, l’oratorio ou la musique pour piano. On attend avec impatience la monographie en préparation de Philippe Blay, auteur de huit des vingt et un articles de cet ouvrage, pour synthétiser cette somme et aborder les questions ici soulevées, tout en nous régalant de sa plume aussi alerte que documentée.

mercredi 27 mai 2015

« Haydn 2032. N°2 – Il Filosofo » - Symphonies n° 22, 46 et 47 de Haydn - Symphonie de WF Bach - Il Giardino Armonico - Giovanni Antonini - Disque Alpha


Déjà un deuxième volume pour l’intégrale des Symphonies de Haydn amorcée à la fin de l’année dernière par Giovanni Antonini avec un premier volume intitulé «La Passione»! Il est vrai que ce nouveau projet doit tenir le rythme pour aborder l’ensemble des 107 Symphonies (la Symphonie concertante n° 105 devrait donc être intégrée au corpus) et aller sans encombres jusqu’au terme prévu de 2032. On pense ainsi au regretté Christopher Hogwood, insatisfait de n’avoir pu achever son intégrale malgré déjà quelques trente-deux disques gravés. Faut-il pour autant se réjouir d’une énième intégrale des Symphonies de Haydn? Oui, si l’on considère l’intérêt de ces interprétations sur instruments d’époque, de surcroît idéalement captées et bénéficiant d’une élégante édition cartonnée, illustrée de nombreuses photos (toutes issues d’un partenariat avec l’agence Magnum). Mais ce qui séduit surtout d’emblée ici, c’est l’effectif réduit à quatorze cordes utilisé par Antonini et son ensemble Il Giardino Armonico.

Des textures plus claires, parfaitement articulées, offrent ainsi une lecture faisant ressortir les bois et les cuivres, sans pour autant perdre de vue la vivacité rythmique nerveuse propre aux mouvements rapides de Haydn. C’est particulièrement marquant dans les Presto, où Antonini s’applique à respecter scrupuleusement les nuances. C’est sans doute ce qui donne cet aspect plus déstructuré au final de la Quarante-sixième (1772), plus lent qu’à l’habitude, où le retour inédit et bref du Menuet fait place à des silences aux allures théâtrales. Une vision plus nuancée mais moins intense que celle de Bruno Weil (Sony, 1994).


On retrouve ce sens du contraste dans la Vingt-deuxième «Le Philosophe» (1764), l’une des plus fameuses de Haydn avec son utilisation d’une mélodie de choral dans l’Adagio initial. Une place inédite pour ce mouvement, tout comme le Menuet encadré de deux Presto endiablés. Il faut ainsi entendre le final cravaché par un Antonini déchaîné, superbe de vivacité nerveuse, aux attaques sèches et tranchantes. L’interprétation de la Quarante-septième (1772) déçoit en comparaison avec son Adagio trop sec, pauvre de couleurs et de poésie, en un tempo trop mécanique. De même, on regrette l’exacerbation de la rythmique dans les deux derniers mouvements – la scansion trop martelée offrant peu de possibilités aux nuances possibles dans les contrechants.


Déjà fort copieux, ce programme ajoute une symphonie de la période dresdoise de Wilhelm Friedemann Bach (1710-1784). Cette idée de mettre en miroir les symphonies de Haydn avec celles de ses contemporains sera également reprise dans les autres volumes: C.P.E. Bach, Mozart, Beethoven, Michael Haydn ou Stamitz sont ainsi déjà prévus. Ici, la symphonie de l’aîné des fils Bach nous ramène à la période de transition entre baroque et musique galante, où de nombreuses libertés sont prises avec les conventions. On pense ainsi au traitement des ritournelles, où Wilhelm Friedemann se joue de la mélodie, repoussant plusieurs fois son achèvement. Une malice partagée avec Haydn, coutumier du fait. On retient aussi le superbe Allegro avec ses cordes «en déflagration» qui font immanquablement penser à l’orage des Quatre Saisons de Vivaldi, ou encore le Menuet placé en dernière position – ultime originalité pour cette symphonie très plaisante. Un disque très prometteur, malheureusement desservi par une interprétation inégale.

samedi 23 mai 2015

« Complete Piano Trios » de Hummel - A. Deljavan, D. Cammarano et Luca Magariello - Disque Brilliant Classics


Elève de Mozart et Salieri, Johann Nepomuk Hummel (1778-1837) fut un virtuose du piano acclamé en son temps dans toute l’Europe, aujourd’hui quelque peu oublié au profit de ses contemporains plus connus, tels Beethoven ou Schubert. Une image tenace de superficialité et de légèreté colle à la peau du successeur de Haydn à Esterháza – ce que dément pourtant aisément l’écoute des présents disques. Très prolifique en de nombreux domaines (hormis la symphonie), Hummel s’est particulièrement illustré dans la musique de chambre, composant pas moins de huit Trios pour piano, violon et violoncelle, tous variés et captivants – malgré leur coupe régulière en trois mouvements. L’impasse faite par cette intégrale sur le premier (opus 3a), non numéroté dans le corpus global, rappelle combien Hummel n’accordait aucun crédit à cette œuvre de jeunesse composée en 1792. L’Opus 12 constitue ainsi le premier trio officiel d’un jeune homme aguerri de 25 ans, ayant déjà derrière lui plusieurs concertos et opéras, manifestement très à l’aise dans la construction d’ensemble. C’est particulièrement visible dans ce «premier» trio très réussi, d’une pulsation rythmique à la Haydn, qui avance avec son inspiration mélodique affirmée.

Le Trio opus 22 (également enregistré tout récemment par le Trio Chausson en une optique plus doucereuse) offre quant à lui davantage de surprises en bousculant le cadre formel classique. Les respirations se font ainsi plus nombreuses, interrompant habilement la mélodie principale pour mieux la retrouver en définitive. Seul l’irrésistible dernier mouvement Alla turca, inspiré autant du finale de la Onzième Sonate pour piano de Mozart que du Rondo all’Ongarese du Trente-neuvième Trio de Haydn, se tourne encore vers le passé. L’optique dégraissée – mais jamais sèche – des trois interprètes italiens fait merveille, restant toujours équilibrée entre une volonté de coloris poétique et une vivacité bienvenue dans ce répertoire.


L’Opus 35 (1808), malgré un étonnant deuxième mouvement Tempo di minuetto, se montre plus sobre en comparaison. Très en retrait dans les différentes partitions ici réunies, le violoncelle apparaît plus présent dans le bel Andante grazioso de l’Opus 65 (1815), plus tardif, où se déploie une mélodie gracieuse, d’une harmonieuse simplicité apparente. Mais c’est surtout dans son grand Trio opus 83 (vers 1819), œuvre la plus longue de la série, qu’Hummel surprend par les constants dialogues entre les trois instruments, rappelant souvent Schubert par l’expressivité. Le natif de Presbourg (aujourd’hui Bratislava) y fait aussi la preuve d’un ton volontiers plus humoristique avec le mouvement de balancier lancé par le piano – Alessandro Deljavan jouant avec le rythme presque métronomique en un toucher aérien, presque félin. Retour à un Hummel plus introverti dans le trio suivant de 1822, principalement dans le superbe Larghetto. Hummel démontre combien le virtuose peut se faire profond à l’occasion, tandis que le Rondo final laisse entrevoir un compositeur au caractère plus affirmé qu’il y paraît. Dernier opus de la série, le Trio opus 96 (également de 1822) offre moins d’intérêt, et ce malgré son original Rondo alla russa.


Si l’on peut regretter la captation trop en retrait du violoncelliste Luca Magariello, le son chaleureux de cet enregistrement séduit d’emblée, imposant la belle personnalité de Daniela Cammarano au violon. Autour du piano véloce d’Alessandro Deljavan, l’éloquente simplicité des phrasés de ce beau trio apporte une séduction constante et toujours mélodieuse, faisant de ce disque un plaisir continu – et vivement conseillé!

Concert de l'Orchestre national de France - Semyon Bychkov - Auditorium de la Maison de la Radio - 21/05/2015

Semyon Bychkov
Longtemps directeur musical de l’Orchestre de Paris (1989-1998), Semyon Bychkov aura laissé un souvenir mitigé à la tête de cette phalange, délaissant ensuite la capitale pendant plusieurs années avant de faire un retour en force depuis quelques saisons. On se souvient notamment du concert d’anthologie donné en 2008 au Théâtre des Champs-Elysées avec l’Orchestre symphonique de la Radio de l’Allemagne occidentale (WDR, Cologne). Déjà Chostakovitch si l’on peut dire, ou plutôt toujours Chostakovitch – lorsqu’on se rappelle que c’est avec ce compositeur que le chef, star montante chez Philips à la fin des années 1980, s’était fait connaître en enregistrant plusieurs symphonies.

Déjà enregistrée en 1993 avec les Berliner Philharmoniker, remise sur le métier en 2008 avec le WDR de Cologne, c’est dire les affinités de Bychkov avec la Huitième Symphonie de Chostakovitch entendue à nouveau ce soir. Pour autant, rien de routinier en cette nouvelle lecture très personnelle où l’époux de Marielle Labèque se permet de nombreuses libertés avec la partition. Les tenants du respect de l’Urtext en seront pour leur frais: ici, Bychkov ralentit les passages narratifs pour offrir un Chostakovitch à nul autre pareil, aux allures beaucoup plus modernes grâce à l’éclatement constant de la ligne mélodique. Les premières notes sans aucun vibrato aux cordes installent ainsi un climat morne rapidement déchiré par les cris des scansions littéralement cravachées à l’orchestre. Pendant toute la symphonie, de nombreux contrastes viendront surprendre l’auditeur, tantôt étonné par les attaques sèches et les ponctuations marquées, tantôt intrigué par l’allégement dénervé des cordes. Les passages verticaux s’avèrent les plus réussis en leur extraversion sauvage particulièrement intense (il faut entendre rugir les cordes déchaînées avant le solo du cor anglais au I!), où Bychkov lâche la bride au risque aussi de faire ressortir un Chostakovitch un rien trivial. Parfois génial mais inégal, le chef se montre moins à l’aise dans les parties plus apaisées, trop alanguies et raides, même si les toutes dernières notes de la symphonie font leur effet avec des fins de phrases presque murmurées, sans effusion.


La première partie de concert aura connu moins d’excitation, la faute à un Alexandre Tharaud bien pâle dans Mozart. On retrouve les qualités habituelles du pianiste français, véloce et agile, amateur de clair-obscur. Mais si ces qualités font mouche au piano solo, elles ne masquent pas un manque de puissance rédhibitoire dans le répertoire concertant. Les défauts acoustiques de la salle n’expliquent pas tout, et Tharaud se laisse trop couvrir par un orchestre que Bychkov tente pourtant d’alléger, en des textures claires, toujours sans vibrato. Plus à l’aise dans le mouvement lent, le pianiste délaisse pourtant les couleurs, si importantes dans cette œuvre. Peu applaudi, le soliste est apparu plus frêle que jamais au moment des rares rappels à l’issue de sa prestation. En bis, le Prélude en si mineur BWV 855a de Bach, extrait du Klavierbüchlein für Wilhelm Friedemann Bach et arrangé par Alexandre Siloti, laisse pourtant entrevoir un toucher aérien, presque effleuré, d’une délicate sensibilité. Gageons que cette expérience peu heureuse lui vaudra de privilégier le répertoire de piano solo, tellement mieux maîtrisé en ce qui le concerne.

jeudi 21 mai 2015

Concert du Choeur de Radio France - Auditorium de la Maison de la Radio - 19/05/2015

Howard Arman
Un changement de programme de dernière minute aura mis de côté la Missa Sanctae Crucis (1762) de Michael Haydn, initialement prévue avec son accompagnement à l’orgue, pour lui préférer un Ave Regina (1770) beaucoup plus court du même Haydn. Frère cadet de l’illustre Joseph, Michael Haydn (1737-1806) aura passé l’essentiel de sa carrière à Salzbourg, gagnant l’amitié de son jeune contemporain Mozart, qui tenait sa musique religieuse en estime. C’est ainsi que vingt ans avant de composer son propre Requiem en 1791, Mozart découvrait celui de son aîné Michael. Davantage qu’un Ave Regina sans saveur, il aurait été ainsi préférable de confronter ces deux œuvres ou bien encore de s’intéresser à l’imposant corpus de musique chorale pour enfants (dont le superbe offertoire Anima Nostra de 1771) constitué lorsque Haydn s’occupait des petits chanteurs de la cathédrale de Salzbourg.

On ne s’étendra donc guère sur l’Ave Regina introductif a cappella, d’une durée d’à peine dix minutes, qui n’ajoute rien à la gloire du cadet des Haydn. Le concert se poursuit avec l’Adagio et Fugue en ut mineur pour quatuor à cordes de Mozart, composé entre 1783 et 1788. Une belle œuvre toute en sensibilité dans sa première partie, avant de gagner en sévérité dans la fugue conclusive d’allure funèbre. Là encore, on s’interroge sur le choix d’une œuvre aussi courte (moins de dix minutes) pour le Quatuor Ellipse, formé de musiciens de l’Orchestre national de France, qui a à peine le temps de faire étalage de son sens de la respiration et de son raffinement – un rien désincarné dans la fugue, trop légère de ton. On retrouvera certes cet ensemble dans le bis conclusif après le Requiem, autour d’un Ave verum corpus trop court là aussi.


Le concert continue sans entracte autour du Requiem de Mozart, donné dans sa version pour piano à quatre mains de Carl Czerny (1791-1857). Célèbre professeur de Liszt, on lui doit de nombreuses transcriptions des œuvres de son maître Beethoven. Ici, l’acoustique des lieux fait perdre quelque peu les sonorités du piano dans la vaste salle de près de 1500 places. Il faut dire que le chœur se montre un rien trop fourni avec ses quarante chanteurs – seuls les passages entre solistes et piano captivant pleinement. En ce domaine, les femmes font valoir leur qualité de projection, ainsi qu’une belle ligne de chant pour Barbara Vignudelli. On retiendra aussi les phrasés attachants de Matthieu Cabanes et l’investissement de Mark Pancek, toujours percutant.


Mis à nu par l’accompagnement discret des deux pianistes Mathias Lecomte et Thomas Tacquet, le Chœur de Radio France ne brille guère par son pupitre de sopranos, souvent dépassé dans les forte mais heureusement plus à l’aise dans les contrechants aériens du Confutatis. Un chœur globalement correct, très précis, mais sans réel charme. Howard Arman fait ce qu’il peut à la tête de cet ensemble, n’hésitant pas à imposer de vifs tempi, particulièrement dans les premiers mouvements dramatiques de l’œuvre. Un concert express au programme initialement prometteur, malheureusement trop imparfait dans sa réalisation.

lundi 18 mai 2015

« The Handel Festival Collection » - Coffret 6 DVD Arthaus


Arthaus réunit en un seul coffret plusieurs publications déjà précédemment éditées séparément. Ces trois opéras de Haendel et ce documentaire consacré au natif de Halle forment une somme cohérente, et ce d’autant plus que les différents spectacles proposés ont tous été enregistrés lors de festivals renommés en Allemagne. C’est précisément à Halle, où se tient chaque année le festival Haendel, que deux des trois opéras ici associés ont été enregistrés, tandis que le troisième nous vient tout droit de Potsdam (également lieu d’accueil d’un festival baroque annuel). Un gage de qualité pour ces productions, certes sans stars, mais dont la remarquable homogénéité au niveau des chanteurs rassemblés offre un plaisir constant dans les œuvres présentées ici.

Le plus ancien opéra de ce coffret date de la période londonienne. Avec Teseo (1713), Haendel s’inspire de l’œuvre homonyme de Lully et Quinault en un ouvrage magistral, dont se démarquent ici les chanteuses féminines, au premier rang desquelles Sharon Rostorf-Zamir (Agilea) et Maria Riccarda Wesseling (Medea). On est moins convaincu par Jacek Laszczkowski (Teseo), au positionnement de voix instable, incapable de contrôler l’aigu. C’est d’autant plus dommage que sa voix charnue ne manque pas de charme dans les graves. Si la mise en scène prudente du contre-ténor Axel Köhler n’apporte pas grand-chose, rien à attendre non plus dans les deux autres productions, bien pauvres au niveau scénique. Seul le même Köhler s’essaie, dans Admeto, à une transposition bien maladroite en milieu hospitalier. Il ne faudra certainement pas faire l’acquisition de ce coffret pour ces mises en scène sans grand talent.


Avec Tamerlano (1724), on touche à l’une des œuvres les plus fameuses de Haendel, composée la même année que ses autres chefs-d’œuvre Rodelinda et Jules César en Egypte. Le sujet orientaliste, autour de l’opposition entre Tamerlan et le sultan ottoman Bajazet, reste l’un des plus original de son auteur. Mais là encore ce sont les femmes qui se démarquent le plus au niveau vocal dans cette production, notamment une superlative Monica Bacelli (Tamerlano). En revanche, rien d’extraordinaire côté vocal dans l’Admeto (1727) ici proposé, tout aussi décevant que le documentaire Barockstar. En tout juste une heure, la vie de Haendel est survolée à coup de cartes postales des lieux prestigieux visités par le grand maître tout au long de sa vie, auxquels s’ajoutent quelques extraits d’entretiens avec des personnalités du monde baroque.


A noter que le double disque audio qui accompagne les DVD d’Admeto ne comporte que de larges extraits des trois actes de l’œuvre. Un coffret assez inégal donc, à réserver aux seuls baroqueux avertis.

dimanche 17 mai 2015

« German Wind Quintets » - Quintette Aquilon - Disque Crystal Classics


Formé en 2001 à Paris, le Quintette Aquilon est composé de jeunes femmes toutes solistes dans des formations régulières (Pays de la Loire, Strasbourg, Tours, Ile-de-France ou encore Les Siècles). Depuis leur dernier disque consacré à la musique tchèque pour vents, Marion Ralincourt a remplacé Sabine Raynaud – on retrouve d’ailleurs ce disque en bonus du Blu-ray sorti en septembre dernier, édité quelques mois seulement après le présent disque. A l’instar de l’un des concerts parisiens auquel ConcertoNet avait assisté en 2009, les cinq jeunes femmes poursuivent dans la veine de programmes originaux fondés sur une interprétation aussi précise qu’aérienne. Assurément un des quintettes à suivre de près en ce moment.


S’il n’est pas surprenant de retrouver un Hindemith toujours aussi inspiré dans ce répertoire, son contemporain Eisler n’est pas en reste, insufflant davantage de dissonances dans son Divertimento. Plus surprenant est l’Adieu composé par Stockhausen en 1966, en hommage au décès du fils du hautboïste Wilhelm Meyer. Une partition au statisme hypnotique, proche des sonorités de l’orgue en certains endroits, constamment déroutante. Le Quintette d’August Klughardt (1847-1902) est plus classique en comparaison. Composé à la fin de sa vie, aux alentours de 1898, il charme par sa capacité à faire chanter les différentes individualités, admirablement entremêlées pour faire ressortir les qualités individuelles des solistes. Un disque réussi, qui dispose de surcroît d’une captation sonore idéale et d’un minutage généreux.

samedi 16 mai 2015

« Concerto pour violon » d'Erich Wolfgang Korngold - Daniel Hope contre Kristóf Baráti - Disques Deutsche Grammophon et Brilliant Classics


Deux versions très différentes du Concerto pour violon de Korngold, l’une des œuvres les plus fameuses du compositeur autrichien naturalisé américain suite à sa fuite du régime nazi. Fruit d’une longue gestation entre 1937 et la création à Saint-Louis dix ans plus tard (par le grand Jascha Heifetz), ce concerto bénéficie de l’imagination mélodique et de l’orchestration foisonnante qui permettront à Korngold de s’imposer brillamment à Hollywood comme compositeur de musique de film. C’est précisément en cette direction que le violoniste anglais d’origine sud-africaine Daniel Hope (né en 1973) avance, mettant au premier plan son instrument pour imposer d’emblée la mélodie principale. Une lecture très personnelle, hédoniste et toujours séduisante dans sa respiration au tempo mesuré, qui bénéficie d’une excellente prise de son. A ses côtés, l’Orchestre philharmonique royal de Stockholm dirigé par Alexander Shelley joue les seconds rôles en colorant chacune de ses interventions pour mettre en valeur le soliste. Une version d’un envoûtement sonore immédiat pour le profane, peut-être insuffisamment fouillée pour l’amateur plus chevronné.

Une toute autre optique préside à la version enregistrée par Kristóf Baráti (né en 1979), avec un violon plus en retrait qui exalte les contrechants – n’oubliant aucune subtilité dans le respect des nuances. C’est davantage une symphonie avec violon obligé, exaltant les moindres contrastes de la partition pour apporter une vision vivante et colorée, aux accents sensibles et délicats, presque fragiles, dans la «Romance». Un deuxième mouvement très touchant sous l’archet du violoniste hongrois. Cette vision chambriste particulièrement vivante se poursuit dans l’Allegro conclusif, rapide et sautillant, emporté dans un dialogue endiablé entre les différents pupitres autour du violon.


Deux versions hautement recommandables malgré leurs optiques opposées, toutes deux accompagnées de compléments fort différents. Baráti choisit de se tourner vers le jeune Korngold, auteur à seulement seize ans d’une Sonate pour violon et piano déjà prometteuse. Il poursuit dans sa volonté de ne jamais prendre le dessus, permettant une lecture équilibrée, toute de contraste dans l’exaltation de la rythmique propre à cette œuvre. Daniel Hope choisit quant à lui des compléments plus faciles d’accès, réunissant notamment toute une série de compositeurs exilés aux Etats-Unis, finalement accueillis par Hollywood. Le large panel sélectionné inclut également des compositeurs actuels bien connus, tel John Williams, sans oublier de convoquer Sting, inattendu chanteur pop dans Eisler. Des pièces très calibrées dans leur bref minutage, admirablement variées dans les accompagnements (voix, piano ou harpe), même si Hope maintient son optique sage et doucereuse – signature globale de son album.

vendredi 15 mai 2015

« Sinfonietta », « Concerto pour piano » et « Divertimento » de Paul Graener - Münchner Rundfunkorchester - Alun Francis - Disque CPO


Après deux premiers disques parus en 2012 et 2013, CPO poursuit l’exploration de l’œuvre orchestrale de Paul Graener (1872-1944). Aujourd’hui complètement oublié, son nom reste attaché au poste de vice-président de la Chambre de la musique du Reich, qu’il occupa de 1934 à 1941, après la démission de Wilhelm Furtwängler. Son parcours politique, tout comme sa musique conservatrice, expliquent cette mise à l’écart durable. Pour autant, ce troisième volume laisse entrevoir une musique plus audacieuse qu’il n’y paraît au premier abord. C’est particulièrement notable dans l’une des œuvres qui rencontra le plus de succès du vivant du compositeur allemand, sa Sinfonietta composée entre 1905 et 1908. On y perçoit l’influence de Mahler dans la texture aux cordes et harpe qui rappelle les adagios du compositeur autrichien. L’élégante transparence, la mélodie mouvante et les thèmes sinueux se situent davantage dans la mouvance de Reger – à qui Graener succéda comme professeur de composition au Conservatoire de Leipzig de 1920 à 1927. C’est précisément au cours de cette période qu’il élabora son unique Concerto pour piano, dans la veine lyrique d’un Rachmaninov. Un bel ouvrage, d’une imagination mélodique remarquable.

Si on peut faire l’impasse sur de décoratives Danses suédoises (1932), le Divertimento composé en 1921 retient l’attention par l’alternance de légèretés primesautières, de rythmes de danses à l’ancienne ou de mouvements lents rêveurs dans la veine de Grieg. Une œuvre d’une perfection formelle toute classique, un rien trop sage, mais qui réserve de beaux dialogues entre les bois. Côté interprétation, on retrouve l’excellent Orchestre de la Radio de Munich (souvent enregistré par CPO sous la baguette d’Ulf Schirmer), dirigé cette fois par Alun Francis, lui aussi habitué de la firme allemande. Le chef gallois imprime de beaux phrasés, portés par une respiration naturelle, toujours à propos. Un très beau disque.

jeudi 14 mai 2015

Ensemble de cuivres Namestra - Remy Abraham - Michel Becquet - Disque Animato


Namestra ? Un nom qui évoquerait plutôt une divinité grecque ou romaine. Il n’en est rien. Derrière ce nom énigmatique en forme d’acronyme, se cache un ensemble de cuivres dont les membres sont tous issus des orchestres de Nancy, Metz et Strasbourg. Après avoir déjà sillonné la France lors des concerts estivaux l’an passé, cette jeune formation présente son premier disque autour d’un programme éclectique particulièrement savoureux. On doit à Rémy Abraham, corniste à l’Orchestre philharmonique de Strasbourg depuis 1981, la plupart des arrangements astucieusement distillés sur ce disque. De la Suite «Au temps de Holberg» de Grieg à la Quatrième Symphonie de Tchaïkovski, en passant par Turandot de Puccini ou Carmen de Bizet, rien n’échappe à la curiosité de cette fine équipe. Mais revisiter ces œuvres bien connues – en des adaptations aussi réussies soient-elles – ne suffit pas. Rémy Abraham n’en oublie pas ainsi de se tourner vers la musique de notre temps, ancrant résolument son intérêt vers la musique de film.

Une inspiration perceptible dans son arrangement du chant traditionnel Nonesuch, où résonnent percussions et ocarina, et plus encore dans sa propre composition, mélodiquement irrésistible, qui relate L’Aventure des frères Montgolfier. Un véritable tourbillon de lyrisme flotte sur ces œuvres, là encore habilement contrebalancées par des morceaux plus dansants et enjoués. Si la courte Fanfare pour un ami de Bert Appermont (né en 1973) se moque résolument des images d’Epinal associées aux ensembles pour cuivres, les délicieuses espiègleries du Chat pitre de Richard Galliano et du Mary’s Boy Child de Jester Hairston lui répondent autour d’ambiances latinos et jazzy aux rythmes charmeurs et enivrants. Toujours précis dans ses tempi très vifs, l’ensemble Namestra aime le swing et surprend par son entrain communicatif et sa joie de vivre. Un disque au souffle généreux, chaudement recommandé.

samedi 9 mai 2015

« Scenes from the Saga of King Olaf » et « The Banner of Saint George » d'Edward Elgar - Bergen Filharmoniske Orkester - Andrew Davis - Disque Chandos


C’est à l’âge déjà avancé de 42 ans qu’Elgar parvint à s’imposer comme un compositeur important avec son tout premier chef-d’œuvre incontestable, les Variations Enigma. Toutes les grandes œuvres encore aujourd’hui au répertoire ont été composées après 1899, que ce soient The Dream of Gerontius, Pomp and Circumstance, les concertos pour violon et violoncelle ou les deux Symphonies. Les œuvres précédant cette période de maturité sont moins connues, et c’est tout le mérite de ce nouveau disque d’Andrew Davis que de contribuer à faire connaître davantage la première manière du grand compositeur victorien. Souvent comparée au Kullervo de Sibelius, l’épopée évangélique de la Saga du Roi Olaf (1896) déçoit par un texte assez pauvre, heureusement compensé par l’élan généreux, presque naïf, d’Elgar dans cette œuvre.

Ardent défenseur de la musique anglaise, Andrew Davis bénéficie d’une superbe prise de son et d’interprètes de haut niveau, que ce soient les chœurs bien préparés ou l’excellent orchestre de Bergen. Mais sa direction aux arêtes polies gomme toute aspérité pour privilégier un confort trop convenu pour offrir un relief suffisant à cette partition. On restera ainsi attaché à la version flamboyante de Vernon Handley (EMI, 1984), toujours passionnant avec son geste nerveux et anguleux. L’œuvre contemporaine gravée en complément (beaucoup plus courte), La Bannière de saint George (1897), n’échappe malheureusement pas aux mêmes griefs. Une vision un rien trop lisse de la part d’Andrew Davis.

mardi 5 mai 2015

« Symphonie n°3 » et « Drei Böcklin-Phantasien » de Felix Woyrsch - Oldenburgisches Staatsorchester - Thomas Dorsch - Disque CPO


Trois ans après avoir consacré un premier disque à la musique orchestrale de Felix Woyrsch (1860-1944), CPO récidive avec les mêmes interprètes. Né en Silésie tchèque, Woyrsch a animé la vie musicale de la ville d’Altona (alors indépendante de Hambourg, à laquelle elle est aujourd’hui rattachée) pendant l’essentiel de sa longue carrière. Compositeur autodidacte attaché au postromantisme, l’Allemand rencontre en 1910 l’un de ses plus grands succès avec ses trois fantaisies orchestrales élaborées autour des œuvres du peintre suisse Arnold Böcklin, dont la fameuse Ile des morts, également mise en musique par Rachmaninov deux ans plus tôt et par Reger trois ans plus tard. On a là un parfait exemple de la première manière de Woysch, tournée vers le poème symphonique à programme. Ce triptyque plaisant mais en rien essentiel, étire tout d’abord un unique thème dramatique en son premier mouvement, au moyen d’une orchestration assez lourde, opposant classiquement les cuivres aux cordes. L’Adagio qui suit laisse la part belle au violon solo, délicatement nostalgique, autour d’une ambiance apaisée et un rien féérique. Woyrsch conclut cette œuvre par un Scherzo sautillant, délicieusement espiègle.

Avec sa Troisième Symphonie (1928), place à un Woyrsch plus audacieux, qui joue avec de courts motifs entremêlés, tout en instillant d’infimes dissonances ici et là. Le premier mouvement, assez confus, qui semble se chercher, valut sans doute à cette œuvre son surnom «d’apocalyptique». L’orchestration assez opulente manque de finesse, même si le Scherzo qui suit offre une légèreté savoureuse dans sa rythmique colorée. On retrouve dans l’Adagio, placé en troisième position, la manière déstructurée assez déroutante de Woyrsch, tandis que le finale plus réussi laisse davantage d’expression à la mélodie, là encore portée par de vives oppositions entre les cuivres et les cordes. Si la direction toute en lisibilité de Thomas Dorsch semble tirer le meilleur parti d’un orchestre correct mais sans charme, elle ne peut offrir qu’une battue régulière sans grand relief.

« Carmen » de Georges Bizet - Opéra de Lyon - 02/05/2015


Pas besoin de tendre l’oreille à l’entracte samedi soir pour entendre parmi le public les nombreux débats et commentaires autour de la reprise de la Carmen réglée par Olivier Py – c’est déjà en soi une réussite que de parvenir à faire autant réagir, principalement sur les choix de la mise en scène. Créée ici-même voilà trois ans, cette transposition controversée d’une Carmen meneuse de cabaret parisien surprend d’emblée par le luxe des moyens en présence. En dévoilant des bas-fonds que n’aurait pas reniés Otto Dix, une énorme cage tournante se déploie pendant tout le spectacle, transformant le décor comme un vaste jeu d’assemblage pour figurer une salle de cabaret et ses coulisses, le bar adjacent ou les rues sordides alentours. Une reconstitution formellement éblouissante, mais qui prend trop de place, au détriment de la musique, laissée au second plan.


En sabrant la plupart des dialogues parlés et en rejetant toute référence hispanisante, Py simplifie à l’extrême le livret pour resserrer le drame autour des amours contrariées de Carmen et Don José, ce dernier épousant la carrière du cabaret lorsqu’il accepte de suivre l’héroïne dans la clandestinité. Des partis pris à accepter pour pleinement entrer dans le spectacle, celui-ci souffrant de surcroît d’un trop plein d’idées au premier acte, particulièrement les constants changements de décor bien lassants à la longue, frisant l’agitation survitaminée. Une mise en scène qui n’hésite pas à faire chanter plusieurs fois ses solistes ou son chœur dos au public ou dans le lointain des coulisses, et ce au détriment du respect des équilibres entre l’orchestre et les voix.


C’est d’autant plus marquant que la direction du baroqueux Riccardo Minasi s’avère elle aussi puissante et extravertie – véritable acteur du drame où chaque accent est souligné. Un geste vif qui manque parfois de raffinement et de respiration mais qui, indéniablement, ose. Face à cette fosse déchaînée, les chanteurs ne déméritent pas, même si les deux rôles principaux déçoivent quelque peu. La faute tout d’abord à une prononciation française aléatoire et à un vibrato assez envahissant. Mais là où la Carmen de Kate Aldrich (déjà entendue ici-même en début d’année dans l’Idoménée mis en scène par Kusej) offre de beaux phrasés parfaitement mis en valeur par le velours de ses graves, le Don José d’Arturo Chacón-Cruz lorgne trop souvent vers un chant aguicheur d’un style douteux. Dommage car son timbre à l’éclat chaleureux offre aussi de beaux moments.


C’est surtout l’impeccable Sophie Marin-Degor (Micaela) qui rayonne tout au long de la soirée – ce que confirment des applaudissements nourris à l’issue de la représentation. Une ligne de chant puissamment expressive, tour à tour éloquente et dramatique – un véritable régal. A ses côtés, Jean-Sébastien Bou (Escamillo) compense sa faible projection par une diction précise et des phrasés toujours justes, tandis que les seconds rôles sont à la hauteur, particulièrement le «duo bouffe» constitué de Mathieu Gardon (Le Dancaïre) et Florian Cafiero (Le Remendado). Autre motif de satisfaction avec de superlatifs chœurs, surtout côté masculin, tandis que la Maîtrise (essentiellement composée de jeunes filles) surprend par son engagement, doublé d’une intonation parfaite.

lundi 4 mai 2015

« Sinfonia con fuga », « De Profundis » et « Requiem » de Franz Xaver Richter - Czech Ensemble Baroque - Roman Válek - Disque Supraphon


Représentant éminent de l’école de Mannheim, le compositeur morave Franz Xaver Richter (1709-1789) a laissé pas moins de soixante-neuf Symphonies à la postérité, dont certaines furent publiées de son vivant à Paris. Une intense production qui a contribué à cette renommée – célébrée par le disque ces dernières années, tout particulièrement Matthias Bamert et les London Mozart Players en 2007. On retrouve en ouverture de ce disque une symphonie de la période d’activité à Mannheim (1747-1768), sans qu’il soit possible d’indiquer plus précisément la date de sa composition. D’allure austère et sombre, elle préfigure de manière cohérente les autres œuvres gravées sur ce disque, toutes tournées vers la célébration de la mort. C’est surtout son premier mouvement, d’une durée double aux deux autres réunis, qui impressionne par sa perfection formelle et sa progression hypnotique en forme de fugue, après l’admirable introduction lente. Les superbes dialogues entre pupitres de cordes offrent un intérêt constant à cette œuvre très réussie, magnifiquement captée de surcroit autour d’une légère résonnance. Roman Válek étage son orchestre sur instruments d’époque avec une précision millimétrée, sans jamais perdre de vue l’élan nécessaire à la progression dramatique.

On l’aura compris, c’est surtout la musique religieuse de Richter (tout aussi prolifique en ce domaine que dans celui de la symphonie) qui constitue l’objet principal de ce disque. Si d’autres œuvres avaient déjà été gravées avec succès voilà cinq ans, Válek enregistre pour la première fois le De Profundis et le Requiem sur instruments d’époque. Une initiative qui restitue un caractère baroque à ces œuvres pré classiques qui annoncent de près la manière de Haydn. C’est particulièrement marquant dans le premier mouvement du Requiem, soutenu par la scansion obstinée des trompettes et timbales et les cordes en ornement, tandis que l’entrée plus grave du chœur offre une majesté éloquente toute de circonstance. Les excellents solistes réunis contribuent à la réussite de cette gravure, tout comme le chœur idéalement capté là encore – même si on aurait aimé une direction un rien plus nerveuse en certains endroits. Une œuvre variée, beaucoup plus intéressante que le De Profundis (1779) en complément, qui date de la période strasbourgeoise.

samedi 2 mai 2015

« Mer calme et heureux voyage » et « Symphonie n° 2 » de Felix Mendelssohn - City of Birmingham Symphony Orchestra - Edward Gardner - Disque Chandos


Après les deux premiers jalons parus l’an passé, Edward Gardner achève son intégrale des Symphonies de Mendelssohn auxquelles il a adjoint les ouvertures les plus réussies – telle Mer calme et heureux voyage enregistrée dans le présent volume. Contrairement à ce que pourrait laisser penser le titre de la collection «Mendelssohn in Birmingham», il ne s’agit pas ici de découvrir des versions inédites des œuvres regroupées, mais bien de célébrer les liens rapprochés avec la troisième ville d’Angleterre, qui accueillit plusieurs fois le compositeur allemand dans les années 1830 et 1840. Seul ce troisième volume rappelle, par le choix d’un texte chanté en anglais pour la Deuxième Symphonie, la tradition d’une version adaptée dans la langue locale dès la création au XIXe siècle.

Juge extrêmement sévère de ses propres œuvres, Mendelssohn a plusieurs fois remis sur le métier ses symphonies dont la numérotation ne reflète pas l’ordre réel de composition (1, 5, 4, 2 et 3): précédant de deux ans l’achèvement de la fameuse Symphonie «Ecossaise», la Deuxième Symphonie composée entre 1838 et 1840 est ainsi son avant-dernière. Mal-aimée, cette œuvre de circonstance grandiloquente constitue en réalité un oratorio déguisé en sa seconde partie, celle-ci réutilisant des esquisses inachevées faisant introduire un immense chœur avec orchestre. Contrairement à l’Ode à la joie de la Neuvième Symphonie de Beethoven (à laquelle elle a été souvent comparée), cette seconde partie chorale est beaucoup plus importante que les pages symphoniques seules qui la précèdent.


Superbement capté, l’enregistrement dirigé par Edward Gardner, principal chef invité des orchestres de Birmingham et Bergen, joue sur l’exaltation des contrastes, en un geste parfois rageur, un rien péremptoire. Ses vifs tempos s’appuient sur une belle souplesse aux cordes dans les passages plus lents, transparents et élégants. Très symphonique sans jamais alourdir le propos, cette vision avance imperturbablement, volontiers premier degré et sans minauderie – à l’instar d’un chœur très éloquent, presque naïf dans sa ferveur radieuse. Chaque pupitre est admirablement mis en valeur par la captation sonore, tandis que les solistes se montrent à la hauteur, particulièrement le ténor Benjamin Hulett, au timbre superbe. Seule Mary Bevan montre, ici et là, quelques problèmes de souffle – assez mineurs heureusement. Si l’on peut préférer la version plus chambriste d’un Frieder Bernius (Carus), l’élan optimiste de Gardner séduit indéniablement jusque dans les compléments, très réussis à l’instar des atmosphères marines envoûtantes de l’ouverture Mer calme et heureux voyage.

« Die Seejungfrau » et « Sinfonietta » d'Alexander Zemlinsky - Helsingin kaupunginorkesteri - John Storgårds - Disque Ondine


Encore méconnue de la plupart des mélomanes, la fantaisie pour orchestre La Petite Sirène de Zemlinsky a connu ces dernières années un regain d’intérêt au concert grâce au chef d’orchestre russe Andrey Boreyko, défenseur de l’œuvre sur le vieux continent et aux Etats-Unis. Suite à la dispersion de la partition entre plusieurs détenteurs, l’œuvre avait dû attendre son heure avant sa redécouverte par le musicologue et chef d’orchestre allemand Peter Gülke. Celui-ci en assura la recréation en 1984, près de 80 ans après la création en 1905 – grand succès auprès des critiques de l’époque qui purent entendre cette œuvre concomitamment avec le Pelléas et Mélisande de Schoenberg. Maeterlinck contre Andersen, un match déjà inégal, aggravé par la sentence sévère d’Alma Mahler: «D’abord le professeur de Schoenberg, Zemlinsky en devint plus tard l’élève».

On perçoit immédiatement à l’écoute de cette Petite Sirène combien l’inspiration créatrice des deux hommes prend déjà des chemins bien différents. Dans la lignée de la première période de Zemlinsky, marquée par deux symphonies «de jeunesse» (1893 et 1897) aujourd’hui peu jouées, cette fantaisie symphonique ne cache pas ses influences postromantiques. Le début mystérieux et un peu fuyant fait ainsi penser aux atmosphères entêtantes du Rachmaninov de L’Ile des morts, avant de saisir par sa puissance évocatrice – même si son sens mélodique reste toujours en deçà du grand maître russe. Zemlinsky impressionne surtout par ses climats évocateurs, riches et variés, portés par une luxuriance orchestrale superbe. Seul Strauss ou Schreker iront plus loin encore dans l’exubérance des timbres enchevêtrés. Contrairement à sa Symphonie lyrique (1924) plus connue, Zemlinsky évite de surcharger les parties de cuivres, proposant un entrelacs de couleurs enivrant. John Storgårds dirige un superlatif Orchestre philharmonique d’Helsinki, de surcroît magnifiquement capté, embrassant d’un grand geste romantique cette partition par l’opposition saisissante des groupes d’instruments. Très narrative, sa direction est passionnante de bout en bout.


Si le disque précise fièrement en couverture les «premières mondiales» des œuvres ici regroupées, il s’agit seulement pour La Petite Sirène d’un ajout de cinq minutes de musique coupées par Zemlinsky pour équilibrer la structure du deuxième mouvement. L’innovation la plus radicale est l’arrangement de la Sinfonietta, composée en 1934, pour un orchestre de chambre. Réalisée en 2013 par Roland Freisitzer, un ancien élève d’Alfred Schnittke, cette adaptation offre un visage encore plus moderniste à cette œuvre marquée du sceau de l’influence de Hindemith. Tout en laissant une place à l’expression du violon solo, John Storgårds offre des délices de transparence en contraste aux courts motifs tour à tour narquois et sautillants, respectant toujours le subtil équilibre des différents dialogues entremêlés. Une œuvre maîtresse idéalement interprétée – complément opportun pour bien saisir les différentes phases créatrices du maître viennois.

vendredi 1 mai 2015

« Il Guarany » d'Antônio Carlos Gomes - Orquestra Sinfonica de São Paulo - Armando Belardi - Disque Andromeda


Avant Villa-Lobos, il y eut Antônio Carlo Gomes (1836-1896), compositeur brésilien immensément célèbre dans la péninsule italienne. C’est principalement son œuvre lyrique qui fut célébrée, tout d’abord au Brésil, où il composa dans sa langue maternelle ses deux premiers opéras, avant de triompher en italien à la Scala de Milan avec Il Guarany (1870). Rival de Verdi qui le respectait, Gomes put travailler avec les librettistes les plus en vue, tels Antonio Ghislanzoni (auteur d’Aida) et surtout Arrigo Boito. Malgré une dizaine d’ouvrages lyriques composés tout au long de sa carrière (déclinante à partir de 1879), c’est surtout l’opéra-ballet Il Guarany qui reste encore donné de temps à autre. Adapté d’un roman de José de Alencar, le livret situe l’action au Brésil dans les années 1560, opposant tribus locales aux mercenaires portugais autour des amours contrariées de Cecilia et Pery. L’occasion d’utiliser des instruments de musique indiens (dont la maraca), insufflant une indiscutable saveur exotique.

Mais l’œuvre ne peut être réduite à cela tant elle se situe au plus près du Verdi de la trilogie populaire (Rigoletto, Le Trouvère et La Traviata). Ses qualités ont ainsi conduit John Neschling à l’enregistrer chez Sony (1996, réédité en 2003) avec rien moins que Plácido Domingo dans le rôle de Pery. Une version mieux captée que l’enregistrement de 1959, ici réédité, après avoir été distribué par Arkadia en 1995. On a certes quelques incidents de plateau, une légère saturation dans les ensembles et parties avec chœur, mais quelle vie, quel élan dans ce document monophonique exceptionnel! Les interprètes, tous locaux, sont d’un niveau remarquable, au premier rang desquels les deux amoureux, portés par une délicieuse Niza de Castro Tank et un vaillant Josè Perrotta. Une réédition à ne pas manquer pour les amateurs du chant verdien.