jeudi 12 juin 2014

« Simon Boccanegra » de Giuseppe Verdi - Opéra de Lyon - 07/06/2014

À l’Opéra de Lyon, la nouvelle production de « Simon Boccanegra » de Verdi séduira les tenants d’un drame uniformément noir. Une mise en scène radicale, heureusement servie par un plateau vocal d’exception et un jeune maestro à la fougue contagieuse.




On parle bien volontiers des symphonies que le compositeur Anton Bruckner révisa à maintes reprises au cours de sa carrière, toujours insatisfait de la réception critique particulièrement virulente à son endroit. On oublie trop souvent que son contemporain (1) Giuseppe Verdi (1813-1901) remit lui aussi sur le métier de nombreux ouvrages, tel Simon Boccanegra. Initialement créée en 1857, l’œuvre fut un échec, imputable à un livret bavard, truffé de références historiques et de péripéties politiques plus ou moins digestes. La musique, d’un haut niveau d’inspiration, devait-elle pour autant rester dans la poussière des partitions oubliées ? C’est sans doute ce qui permit de convaincre Verdi de retravailler son œuvre, sortant ainsi d’un silence créatif de dix ans depuis le triomphe d’Aïda en 1871.

Œuvre méconnue par le grand public, Simon Boccanegra fait pourtant le délice des connaisseurs ravis d’entendre ce diamant noir de la maturité, du niveau musical des deux derniers chefs-d’œuvre, Otello et Falstaff. Si le livret a été amélioré, il comporte encore quelques faiblesses, se révélant assez touffu. Sur fond d’intrigue politique, le corsaire Simon Boccanegra accepte la charge de Doge pour forcer son ennemi Fresco à lui donner la main de sa fille, à qui il a déjà fait un enfant, Maria. Celle-ci est enlevée à sa naissance, ignorant tout de ses origines, tandis que la découverte de son identité vient consoler Simon de la terrible nouvelle de la mort de la mère de Maria. Parallèlement, l’amour de l’opposant Gabriele Adorno pour Maria vient compliquer la réconciliation entre des camps irréductiblement brouillés.

Un parti pris radical de noirceur

Cette romance entre les deux tourtereaux, aux conséquences dramatiques, constitue l’un des rares moments de l’opéra où la musique se fait légère et aérienne. Au-delà, les couleurs sombres du drame impressionnent tout le long. Hormis les deux amoureux, Verdi confie les principaux rôles à des personnages masculins à la tessiture uniformément grave, du baryton à la basse. Autour de cette histoire politique agitée et de ces teintes vocales ténébreuses, la mise en scène de David Bösch renforce la dureté de l’œuvre en proposant une scénographie aux couleurs d’un gris noir glacial. Ce parti pris sans concession pendant toute la représentation se fonde sur la transposition du récit dans une société contemporaine décadente (2), illustrée par une immense structure métallique amovible, assez laide, qui se déploie au gré de l’action. Un décor heureusement magnifié par des éclairages particulièrement variés et virtuoses, même si les incrustations vidéo n’apportent pas grand-chose à la compréhension de l’œuvre. Pourquoi recourir à des anglicismes pour finalement revenir à l’italien ?

Cette mise en scène nerveuse, en forme de huis clos, agace autant qu’elle séduit, alternant des moments de grâce fulgurants (les finals particulièrement réussis) avec des banalités affligeantes (un cœur kitsch au-dessus des amoureux, des paillettes pour célébrer leur union…). On retrouvera le jeune metteur en scène allemand l’an prochain sur la scène de l’Opéra de Lyon, dans la nouvelle production attendue des Stigmatisés de Franz Schreker. Autre signe de jeunesse dans la fosse avec la découverte du phénomène Daniele Rustioni, spécialiste du répertoire italien, déjà accueilli par les plus grandes scènes européennes. Et quelle claque ! Une direction inventive et bouillonnante, d’une étonnante lisibilité en matière de superposition des différents pupitres, et toujours attentive à préserver l’équilibre avec le plateau.

Côté voix, justement, le jeune couple amoureux obtient une ovation amplement méritée. Malgré un très léger vibrato, Ermonela Jaho (Amelia) fait l’étalage d’une belle technique vocale, réellement étourdissante dans ses pianissimi de rêve. Pavel Cernoch (Gabriele Adorno) n’est pas en reste avec sa voix claire parfaitement projetée, idéal de fougue juvénile. Autre grande satisfaction avec le Simon Boccanegra d’Andrzej Dobber, à la présence impressionnante. Sens de la diction, de la respiration, les qualités ne manquent pas. On pourra évidemment noter une certaine usure de la voix au fil de la représentation, dans la tessiture aiguë surtout, mais n’est-ce pas là en phase avec le rôle ? À ses côtés, on retient les superbes graves de Riccardo Zanellato (Jacopo Fresco) ou la belle composition du traître Paolo Albiani par un Ashley Holland très à l’aise. Aucune faute, donc, pour ce casting qui frise la perfection. 

(1) Deux compositeurs symboliquement opposés en 1954 par Luchino Visconti dans l’un de ses films les plus célèbres, Senso.
(2) Façon Regietheater à l’allemande. Voir aussi la mise en scène des Stigmatisés de Franz Schreker, à Cologne l’an passé.

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