lundi 24 mars 2014

« le Roi Arthus » d'Enerst Chausson - Opéra du Rhin - 18/03/2014

Présenté en ce moment à Strasbourg et en avril à Mulhouse, l’opéra « le Roi Arthus » de Chausson nous plonge dans les méandres d’un triangle amoureux sur fond de climat guerrier. Une œuvre rare à découvrir dans une interprétation homogène de belle tenue.


Les Trois Coups se sont déjà plusieurs fois fait l’écho de la programmation audacieuse (1) de l’Opéra du Rhin, prestigieuse maison qui n’hésite pas cette année encore à mettre en avant les œuvres rares de Nino Rota (Aladin et la lampe merveilleuse), John Adams (avec la création française en mai prochain de Doctor Atomic) ou Ernest Chausson. Si vous n’avez jamais entendu parler du Roi Arthus, unique opéra du compositeur français, rien d’étonnant puisque l’œuvre n’a pas été montée depuis des décennies et n’a guère les faveurs du disque – trois enregistrements existants, ce qui est bien maigre de nos jours (2).

Élève de Massenet et Franck, Ernest Chausson (1855-1899) fait partie de ces compositeurs trop tôt disparus, dont le souvenir ne subsiste qu’à travers quelques œuvres telle la Symphonie en si bémol majeur, op. 20, le Poème de l’amour et de la mer, op. 19 et surtout le Poème pour violon et orchestre, op. 25, un des « tubes » du répertoire. Vivement influencé par Wagner, cet intellectuel raffiné n’a eu de cesse de chercher sa voie propre, une exigence parfois castratrice qui explique la longue gestation de son opéra. Une période de dix ans aura ainsi été nécessaire au compositeur qui écrit à la fois le livret et la musique.

Wagner n’est pas loin

Créée en 1903 à titre posthume, l’œuvre évoque le Tristan und Isolde de Wagner dont elle reprend les personnages en leur donnant des noms légendaires celtes (Tristan devenant ainsi Arthus, etc), mais s’en éloigne sensiblement quant à l’histoire. Trônant parmi les chevaliers de la Table ronde, le Roi Arthus félicite le valeureux Lancelot, récent vainqueur sur le champ de bataille. Mais si Lancelot se montre un loyal serviteur en ce domaine, il n’en va pas de même dans les affaires privées où il file le parfait amour avec la Reine Genièvre. Tandis qu’Arthus soupçonne la trahison, les orages guerriers grondent autour des deux amants, augmentant progressivement la tension.

Chausson construit un scénario habile qui s’intéresse autant au code d’honneur des chevaliers qu’à la romance coupable, teintant son message de références chrétiennes et d’une étonnante fin d’opéra où triomphe l’affirmation de « l’idéal ». Des repères moraux peu surprenants chez Chausson, mais qui ne sont guère exploités par la mise en scène de Keith Warner. Le Britannique choisit en effet de transposer l’action lors de la Première Guerre mondiale, option nullement gênante pour la compréhension de l’histoire, mais qui n’apporte pas grand-chose au-delà de la résonance locale avec un conflit marquant pour le territoire alsacien.

Warner a cependant l’heureuse idée d’animer les nombreux passages orchestraux qui parcourent l’œuvre en faisant interpréter les personnages au-delà de ce qu’indique le livret. Une initiative qui permet de conserver un intérêt constant en début d’opéra, tant l’œuvre gagne en profondeur au fur et à mesure de son déroulement. Il est vrai que la longue gestation de l’opéra se ressent à l’écoute dans l’évolution du style, le dernier acte s’avérant ainsi nettement supérieur aux deux autres.

Des rôles périlleux

Les chanteurs eux-mêmes mettent un peu de temps à se chauffer, particulièrement mis à rude épreuve par les nombreuses difficultés vocales. Outre des passages de pleine voix « wagnérienne », les interprètes se doivent de maîtriser un parlé-chanté périlleux pour qui ne manie pas parfaitement la langue française. En cet exercice, Elisabete Matos (Genièvre) avale parfois quelques mots, tandis qu’Andrew Schroeder (Arthus) se montre impeccable dans la diction, tout comme Andrew Richards (Lancelot). Dans ce rôle, le ténor américain démontre un beau tempérament d’acteur, parfois en difficulté lorsqu’il faut pousser la voix.

On retiendra aussi un superlatif Nicolas Cavallier qui offre à Merlin une dimension vocale luxueuse pour un aussi petit rôle. L’autre grande satisfaction de la soirée vient de la fosse, où le chef canadien Jacques Lacombe, spécialiste des compositeurs oubliés (il a notamment enregistré l’opéra Colonel Chabert de Hermann von Walthershausen, chez C.P.O. en 2010), se montre attentif à ne pas couvrir les voix tout en réduisant le rôle des cordes pour faire ressortir les subtilités de l’orchestration. Assurément, un chef à suivre.

À noter que l’Opéra national de Paris a d’ores et déjà annoncé une nouvelle production du Roi Arthus, qui fera ainsi son entrée au répertoire de la grande maison. Il faudra attendre juin 2015 pour découvrir rien moins que Sophie Koch, Thomas Hampson et Roberto Alagna dans les trois rôles principaux. 


(1) Voir notamment le Son lointain de Schreker et Owen Wingrave de Britten.
(2) Si la crise des ventes de disques est bien réelle, il ne faut pas oublier que la production de disques n’a jamais été aussi importante.

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