vendredi 28 février 2014

« Mitridate, re di Ponto » de Wolfgang Amadeus Mozart - Conservatoire de musique et de danse de Paris - 26/02/2014

Sur scène et dans la fosse, les jeunes talents du Conservatoire de musique et de danse de Paris sont partout. Ils relèvent le défi Mozart avec brio, ouvrant un passionnant cycle consacré au prodige autrichien.

La Cité de la musique présente jusqu’au 8 mars 2014 un passionnant cycle consacré à « Mozart enfant », qui s’intéresse non pas au virtuose du piano, mais au compositeur déjà fécond des premières années. Le cycle débute avec Mitridate, re di Ponto (K. 87), première grande commande lyrique passée au prodige autrichien par rien moins que le Teatro Regio Ducal de Milan – l’ancêtre de la célèbre Scala. Le jeune homme de seulement quatorze ans parvient à composer une œuvre ambitieuse et imposante de trois actes qui lui valent les félicitations de son redoutable père.
Mozart relève le défi haut la main en variant habilement les climats et les atmosphères tout en offrant à ses interprètes de savoureux airs de bravoure. Une incontestable fraîcheur se dégage de cette musique sans fard, volontiers cinglante, qui ne provoque jamais l’ennui dans son alternance régulière de récitatifs et d’airs *. Si la caractérisation musicale des personnages n’est pas encore très affirmée, si la fin de l’œuvre peut paraître abrupte, l’inventivité du natif de Salzbourg offre à tous ses interprètes de quoi briller sur scène à tour de rôle.
Un savoir-faire précoce
Ce savoir-faire précoce accompagne habilement l’adaptation de la pièce homonyme de Racine en forme de huis clos vénéneux. Le roi Mitridate, sa prétendante Aspasia, ses fils Farnace et Sifare, tous rivaux en amour, se déchirent ainsi sur fond de guerre romaine et de querelle de succession pour le trône du Pont – royaume qui borde la mer Noire au nord de l’actuelle Turquie. La mise en scène de Vincent Vittoz mêle ce contexte historique, évoqué à travers de splendides costumes réalistes rappelant l’Asie Mineure, avec des décors sobres et intemporels.
De simples panneaux noirs font ainsi office de décor, se soulevant au gré de l’action pour établir des tableaux visuels variés. Vittoz joue constamment sur la géométrie, utilisant la profondeur de la scène pour mieux la réduire ensuite, multipliant les éclairages en clair-obscur et les effets de contraste en lumière vive. Inventive et élégante, cette mise en scène bénéficie de l’apport inattendu de sept danseurs tout de gris vêtus dans leurs habits contemporains. Sorte de doubles des chanteurs, ces jeunes étudiants du Conservatoire introduisent une distanciation heureuse par rapport à l’action.
Un enchantement constant
On retiendra la belle scène de l’empoisonnement, où les danseurs se passent successivement la coupelle funeste dans un rythme hypnotique. Enchantement constant, cet apport original permet aux chanteurs de se concentrer davantage sur leur performance vocale plutôt que sur le jeu de scène. Une initiative heureuse tant l’œuvre requiert un art consommé dans l’exercice difficile du récitatif. Dans cette pratique, les deux interprètes principaux incarnés par Enguerrand de Hys (Mitridate) et Jeanne Crousaud (Aspasia) s’imposent avec un sens du phrasé souple et agile. Diction alerte, musicalité, sens du jeu, tout y est.
Enguerrand de Hys surprend dès son premier air avec un timbre émouvant, plus fragile ensuite dans les passages virtuoses. Jeanne Crousaud se joue quant à elle aisément des redoutables vocalises. On retiendra aussi le Farnace solide techniquement d’Eva Zaicik, peut-être un rien timide dans l’interprétation, tandis que la puissance de l’Arbate d’Élisabeth Moussous ne fait illusion qu’un temps, tant les difficultés de placement de voix sont nombreuses. Ces quelques bémols ne sont que de menus détails face à une impression générale on ne peut plus satisfaisante compte tenu de la jeunesse des interprètes.
L’autre grande satisfaction de la soirée vient de la fosse, intensément applaudie, où la direction pétillante de David Reiland fait mouche. Un plaisir constant qui fait de ce jeune Mozart ainsi révélé un délice à consommer d’urgence et sans modération. 

* Une caractéristique de l’opera seria. Voir aussi l’Olimpiade de Mysliveček et la Clémence de Titus de Mozart.

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