dimanche 19 janvier 2014

« The Rape of Lucretia » de Benjamin Britten - Théâtre de l'Athénée - 14/01/2014

Retour attendu de l’excellente production de « The Rape of Lucretia », déjà présentée en 2007 à l’Athénée après sa création à Colmar en 2001. La jeune troupe épatante de l’Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris, tout comme les variations envoûtantes de la musique de Britten, compensent les faiblesses du livret.

Grosse affluence à l’Athénée mardi soir. Et pour cause : la venue des jeunes chanteurs de l’Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris est un évènement à ne pas manquer *. Surtout lorsqu’il prend place dans ce théâtre à l’italienne de 570 places, situé dans le charmant square de l’Opéra à deux pas du palais Garnier, dont on admire plus encore à chaque représentation son idéal rapport scène-public. Un cadre intimiste qui convient parfaitement au premier « opéra de chambre » de Benjamin Britten (1913-1975) dont seuls huit chanteurs et treize instrumentistes sont requis pour en assurer l’exécution.
Une innovation voulue par le compositeur britannique après les difficultés rencontrées pour monter son premier grand opéra Peter Grimes, qui le décide à réunir une équipe technique et artistique dédiée à l’accomplissement de son œuvre. La création de l’English Opera Group en 1947 consacre cette volonté autour de son compagnon fidèle, le ténor Peter Pears, mais aussi de la jeune contralto Kathleen Ferrier. C’est d’ailleurs pour cette dernière que Britten compose un an plus tôt son troisième opéra The Rape of Lucretia. Il y déploie ses habituelles qualités d’orchestrateur, obtenant des atmosphères variées et surprenantes qui annoncent immanquablement son chef-d’œuvre le Tour d’écrou.
Un livret décevant
Si l’on peut regretter une inspiration mélodique un peu moins heureuse, c’est surtout dû à un livret, assez statique pendant la sombre première partie ou bancal en fin d’opéra avec l’ajout d’un épilogue religieux maladroit. Mythe fondateur de Rome, le viol de Lucretia par Tarquinius serait à l’origine du remplacement de la monarchie par la république. Outre l’œuvre de Shakespeare, Britten s’inspire d’une pièce française qui fait intervenir deux narrateurs et commentateurs de l’action. Malgré un intéressant effet de distanciation, le compositeur leur accorde une présence trop importante qui multiplie les allusions poético-philosophiques bavardes et antithéâtrales.
La mise en scène de Stephen Taylor choisit de s’appuyer sur ces deux personnages en les faisant rôder autour d’un plateau tournant réduit à deux panneaux. Les autres chanteurs restent prisonniers de cet espace restreint qui semble les empêcher d’imaginer autre chose que l’inéluctable. Les hommes s’ennuient en glosant sur l’incapacité de trouver une compagne aussi vertueuse que Lucretia, tandis que les femmes se languissent de leurs promis. Taylor transpose l’action pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qui n’est pas un contresens au vu du contexte de la composition et de la noirceur de l’œuvre.
L’ambiguïté de Lucretia
Il choisit d’étonnantes couleurs, un orange mural plutôt que le rouge pour symboliser la souillure de l’héroïne ou le violet pour sa robe de deuil. Il s’agit là sans doute de suggérer l’ambiguïté de Lucretia face au plaisir finalement consenti à Tarquinius. On retient aussi une scénographie astucieuse qui laisse entrevoir le lieu du viol par un interstice indiscret entre les deux panneaux, dévoilant le long voile de la honte qui conduit Lucretia vers son geste fatal. Côté voix, l’ensemble du plateau réuni convainc pleinement pendant toute la représentation, tant sur le plan de la diction que de l’investissement scénique.
La grâce d’Agata Schmidt (dans le rôle-titre) fait mouche même si l’on peut regretter une tessiture trop légère dans les graves. Tout le contraire de l’impériale servante de Cornelia Oncioiu qui donne à son timbre opulent et généreux l’écrin délicat des plus grandes. On citera aussi les deux excellents narrateurs, Andreea Soare, une artiste déjà complète, et Oleksiy Palchykov, au phrasé subtil et raffiné. Dans la fosse, l’ensemble musical Le Balcon bénéficie de la science rythmique de son jeune chef Maxime Pascal, nullement impressionné par les écueils de la partition de Britten. Un compositeur que l’on retrouvera lors du festival qui lui est consacré en avril 2014 à l’Opéra de Lyon, avec notamment une rare et intéressante production de Curlew River, parabole inspirée d’une pièce japonaise de théâtre nô.

* Tout comme la venue, dans la même salle en juin, des jeunes artistes de l’Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin. Ils se produiront dans deux œuvres rares de Gounod et Milhaud.

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